Traviata sous le signe de la liberté féminine à Peralada
Cette production de La Traviata se déroule dans un univers uniformément contemporain, dominé par la couleur rouge comme le sang de Violetta. Le metteur en scène Paco Azorín, avec l'appui du chorégraphe Carlos Martos, propose ainsi un portait de Violetta assez inhabituel, jeune femme moins écrasée par la situation qu'à l'habitude, à priori moins dominée par les hommes. Dans le programme de salle, il fait référence à plusieurs égéries du passé qui ont alimenté sa réflexion : Olympe de Gouges, auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne sous la révolution française, George Sand et Indiana, Gabrielle-Sidonie Colette et Gigi. Au plan cinématographique, il fait référence à plusieurs artistes peu conformistes qui n'hésitaient pas à revêtir des habits masculins, Greta Garbo par ailleurs divine Dame aux Camélias, Marlène Dietrich dans Morocco Cœur brulés et bien entendu, Katharine Heypburn et ses fameux ensembles vestes/pantalons larges.
Violetta, dès le premier acte, semble dominer son époque. Son salon, encombré de quatre billards, accueille une sorte de tripot sur lequel elle règne. Toutes les licences semblent permises, du jeu effréné aux pratiques sexuelles les plus diverses. Mais tout n'est en fait que façade, la maladie gagne du terrain et la déclaration d'amour d'Alfredo vient tout remettre en question. Lentement, au fil des actes, la forte personnalité de Violetta se lézarde. Encore glorieuse en ensemble Heypburn face à Germont père, elle apparaît revêtue d'une tapageuse robe de soirée couleur argent à son retour sur Paris, robe dont elle s'extirpe au sol avec moults difficultés au dernier acte comme le papillon de sa chrysalide à la fin de son bref passage sur terre.
Tout le spectacle se révèle ainsi fort convaincant pour peu que l'on accepte l'orientation donnée par Paco Azorín. Les chœurs notamment se plient avec conviction aux souhaits, quelquefois un rien exacerbés, du metteur en scène, tout comme l'ensemble des protagonistes malgré les multiples morceaux d'acrobates (habitude chère à Paco Azorín) quel que soit le propos de la partition.
Ekaterina Bakanova, jeune artiste russe qui chante le rôle sur de nombreuses scènes internationales, à la beauté rayonnante et svelte, incarne cette Violetta new-look avec sincérité et une présence scénique indéniable. La voix peut paraître trop légère sur la totalité du rôle, mais la musicalité de l'artiste, sa technicité accomplie, compensent cette relative faiblesse. Le Sempre Libera du premier acte doit encore s'affirmer, s'assouplir notamment au niveau des vocalises. Mais elle délivre un quatrième acte bouleversant, le matériau vocal se parant alors d'accents et même de couleurs plus variés. A ses côtés, René Barbera, lui aussi un rien léger pour Alfredo, ne se laisse pas déborder. Les deux voix s'harmonisent. Il choisit de faire primer la ligne de chant, le legato et délivre une prestation réjouissante, palpitante. L'aigu est facile, toujours ductile. Le baryton Quinn Kelsey propose un Giorgio Germont uniformément méchant et bouscule sa partie où doit régner legato et plénitude. La voix est certes mordante, puissante, mais convient mieux à l'une de ses incarnations verdiennes majeures, Rigoletto.
Les autres interprètes féminines savent se mettre en avant, que ce soit Laura Vila en Flora Bervoix, mezzo de caractère et Marta Ubieta, Annina au soprano épanoui et qui compose un personnage très attaché à sa maîtresse.
L'Orchestre symphonique du Liceu de Barcelone aux superbes cordes, semble palpiter à chaque instant, laissant la musique de Verdi se répandre sans ostentation, mais avec un souci permanent du beau et de la passion, impulsé par la direction musicale de Riccardo Frizza.