Jeunes et Galantes Indes à Beaune
Quand la fougue orageuse achève la lourde pesanteur caniculaire, le public de Beaune transhume de la Cour des Hospices (lieu prévu pour ce concert) vers la Basilique Notre-Dame (lieu prévu de repli) et l'interprétation se fait énergique fougueuse, animée (au risque d'être parfois agitée). C'est notamment le cas du ténor Philippe Talbot qui interprète les rôles de Valère, Carlos et Damon avec une vigueur incarnée, un timbre de ténor di grazia, une énergie y compris dans la virtuosité (qui sait toutefois se faire légère et badine). L'animation corporelle est aussi celle de la jeune Julie Roset, qui s'oppose certes à une voix (pleine de promesses) montrant la fragilité d'Amour. La conduite vocale reste fluette malgré une prononciation improbable.
Emmanuelle de Negri incarne, même sans l'appui visuel d'une scénographie, la fidélité et la constance, la force qui résiste et finalement vaincra l'adversité, transmettant à la fois l’intériorité des personnages (Emilie et Phani) et les passions ponctuelles qui les animent. Sa voix de soprano, corsée, est dotée d’un riche médium, et d'une vocalité maîtrisée. Elle sait aussi agrémenter de piani son gracieux dialogue avec la flûte. La voix claire de la soprano Ana Quintans, porte sa maîtrise du style, de la ligne et de la prononciation, ôtant certes à son expressivité -à cette énergie partagée par ses collègues. Elle demeure pourtant pleinement audible et projetée, même dans les ornementations.
Guillaume Andrieux campe Osman et surtout Adario avec passion. Le souffle parfois écourté ôte de l'éclat à son baryton, qui passe toutefois de la majesté à l'humanité par une prononciation de caractère. Luigi de Donato, à la voix de basse claire et sonore, sait caractériser la stature du grand prêtre Huascar en exprimant la noirceur dépitée qui l’anime. Malgré quelques (rares) prononciations italianisantes, il délivre précisément le texte et surtout, il sait lui aussi « donner à voir » avec le son même, ce qui est fort précieux chez un chanteur lyrique. Il atteint les sommets lors de la scène finale qui le verra englouti dans le volcan, tandis que le chœur et l’orchestre montrent toute la puissance expressive que Rameau leur a confiée pour représenter cette scène : le tout, comme par un éloquent hasard (ou coup du destin), au moment même où se manifeste à nouveau l’orage, éclairant de l’extérieur les vitraux de la basilique !
Les chœurs sont d’emblée lisibles tant dans les paroles que les registres, témoignant fusion et clarté, puissance comme douceur, toute la soirée durant. La tempête s'exprime dans ce chœur et l'orage à l'orchestre. Les instrumentistes font leur affaire de la belle et riche écriture de Rameau (incluant au delà des cordes, bien nourries dans les graves, les bois, les timbales et les trompettes), sous la direction précise marquée au sceau de l'efficacité par Valentin Tournet. Jeune, soit, il assume néanmoins, visiblement et audiblement, sa propre conception de l’œuvre, fruit d'un travail en amont qu'il continue de transmettre à ses musiciens. Cela étant, l'engagement et la personnalité musicale se heurtent au choix de conserver les longues et nombreuses pages de danses, mais sans danseurs. Ces pages dès lors symphoniques diluent le propos narratif, déjà distendu dans le livret entre différentes entrées dans des pays éloignés, sans le lien transversal d'une intrigue.
La soirée se termine sur les "tubes" baroques que sont Forêts paisibles et Les Sauvages dans un bouquet final déchaîné, plein de santé : une fougue orageuse reprise par les applaudissements nourris du public.
Une autre vision des Indes Galantes, mises en scène à Bastille, s'annonce comme un événement de la prochaine saison lyrique : à réserver ici