Candide, l’effervescence burlesque à l’Opéra comique de Berlin
Le public,
curieux de cette version en allemand de l’opéra, traduit récemment
par Martin G. Berger, prend place (pour s’assurer de la
compréhension du texte, la majorité du livret est sous-titrée
devant les sièges de sorte que le public ait le choix entre
l’anglais, l’allemand, l’espagnol ou le français).
La mise en scène de Barrie Kosky, très illustrative, est une machine bien huilée qui attire fortement l’attention en direction des acteurs/chanteurs, illustrant leur interdépendance avec les costumes, décors, lumières, danseurs, chœur et orchestre. Les innombrables stratégies de dramaturgie font leur effet, sur le principe d’une commedia dell’arte, pour conserver le fil de l’histoire et le rythme dans ce long fil de situations à peine croyables. Les décors, conçus par Rebecca Ringst, recréent une proximité à l’histoire de Voltaire (notamment par l’échafaud en bois, haut comme cinq hommes durant la scène de l’Auto-Da-Fé) ou une distance par rapport à cette même époque (comme avec les bateaux pneumatiques de la fin du premier Acte, ou avec la barre de Pole Dance lorsque Cunégonde est à Paris). Le spectacle paraît encore plus complet avec environ 800 costumes pour ce seul opéra ! Qu’ils soient dans un style baroque comme dans un style contemporain, leur détail montre l’extrême exigence du costumier Klaus Bruns, qui détient plus d’un fil dans son sac.
Dans une salle presque pleine et dans une grande rigueur, les premières notes de l’Orchestre du Komische Oper se font entendre pour l’Ouverture. Rideau fermé, les spectateurs attendent avec impatience que Voltaire, ou plutôt Franz Hawlata surmonté d’une perruque ultra-géante qui le rend ridicule à l’extrême, présente les personnages un-à-un. Ce baryton, qui joue également le rôle de Pangloss sur un ton plus nasillard, fort à l’aise théâtralement et doté très généralement d’une imposante présence vocale -ce qui sied bien à ses personnages d’autorité-, projette le son avec beaucoup de largeur et d’intelligibilité lorsqu’il parle, mais semble parfois forcer son timbre pour produire autant de puissance sur son registre medium, et manque malheureusement parfois de justesse sur son registre medium-aigu, notamment durant son solo de la scène Dear boy.
Le rôle clé de Candide est confié au puissant ténor Johannes Dunz à la technique de vibrato remarquée. Malgré quelques libertés de mise en place rythmique par rapport à l’orchestre, il impressionne le public lors de ses solos dramatiques. Sa présence sur les moments plus théâtralement candides croît (et accélère) globalement. Cunégonde (rôle qui avait valu un fort succès à l’américaine Nicole Chevalier dans une précédente distribution en juin dernier) est interprétée cette fois-ci par la soprano portoricaine au timbre chaleureux Meechot Marrero. Lors des premières scènes, son volume est un peu plus faible que les autres voix, mais l’interprétation virtuose de son solo sur une barre de Pole Dance laisse le public exalté par sa faculté à maîtriser un chant volubile dans les aigus en même temps qu’une chorégraphie aussi complexe, et une mise en scène l’obligeant à adopter des attitudes faciales bipolaires sur des temps très courts. Le public lui rend des applaudissements aussi étincelants que sa robe à paillettes verte.
Théâtralement
investi et crédible, le baryton Dominik Köninger, aux rôles
multiples de Maximilian, de Grand Inquisiteur, de
Commandant et de Louis XIV, détonne par sa facilité
d’émission de son et sa puissance. Bien que la
précédente interprète du rôle de la vieille femme, Anne Sofie von Otter, parodiait avec plus d’aisance l’accent russe, Fredrika Brillembourg retient l’attention du public grâce à son duo
complice avec Cunégonde au début de l’Acte II, mais aussi
grâce à sa faculté à émouvoir pendant son solo plaintif,
partagé avec le cor anglais.
Concernant les chanteurs polyvalents de l’opéra : la mezzo-soprano Maria Fiselier, interprète notamment Paquette d’une voix pleine et stable sur son bas registre, le ténor américain Timothy Oliver, notamment sur le rôle de Cacambo, a la voix brillante et fait beaucoup d’efforts d’articulation et de justesse d’émission, bien qu’il soit parfois un peu couvert par l’orchestre.
Des rôles très furtifs sont incarnés par le duo d’Inquisiteurs Ivan Turšić et Ezra Jung aux voix très fusionnelles, articulées et sans artifice, lors de l’Auto-Da-Fé. Un autre groupe de chanteurs constitué de Carsten Lau (Cléopâtre), Henrik Pitt (Louis II) rejoint une partie de la troupe pour former un quintette de rois et reines créant ainsi un magnifique tableau mélangeant les époques comme pour signifier l’universalité des réflexions philosophiques de Voltaire.
D’autres ont un rôle qui paraît encore plus en retrait, comme le ténor Thaisen Rusch pour le rôle de Roi de l’Eldorado, notamment en voix off parlée, Frank Baer pour le rôle plus théâtral et parlé que chanté du "Gros Baron", de même que celui de Baronne par Angelika Gummelt-Tochtenhagen et du Capitaine incarné par Matthias Spenke. Leur présence scénique, notamment par les choix de costume, compense en partie une forme d’injustice de l’opéra.
La sensation cependant, est la performance du grand baryton Tom Erik Lie, brièvement amusant lors de son passage comme Roi bulgare fantasque à la manière d’un lazzi, et qui exerce son talent de chanteur dans le rôle de Martin. Accoutré d’une tenue de femme de ménage grossière et ridicule, il tient le public captif par une présence très affirmée et puissante, avec une précision rythmique et mélodique aussi "propre" que le sol de la scène après son passage. La grande projection de sa voix, sa parfaite diction et son jeu de comédien rendraient parfaitement sensé qu’il prenne le rôle de Voltaire/Pangloss. C’est d’ailleurs ce que le Komische Oper a prévu pour lui en octobre prochain.