Rolando Villazón, tout un folkore Salle Gaveau
Un récital Rolando Villazón est l’expérience de la mesure et de la démesure, les deux se côtoyant dans un enthousiasme contagieux touchant un large public de néophytes et d’amateurs éclairés.
La mesure point dans un programme cohérent, tout en espagnol, construit en deux parties : l’une ibérique avec deux cycles de mélodies signées de Falla et Obradors ainsi que deux mélodies de Mompou, l’autre sud-américaine avec des œuvres de Revueltas, Guastavino et trois chansons de Ginastera, Nepomuceno et Calvo. Le chanteur franco-mexicain s’y exprime dans sa langue maternelle, se délectant des « r » roulés (Amorrrrr) sans pour autant opter pour l’accent castillan et son zézaiement caractéristique ni adopter le doux chuintement de l’accent argentin dans les mélodies de Guastavino. Il permet au public parisien de découvrir un répertoire rarement entendu (mis à part les Canciones) qui lui est cher et qu’il partage avec grand bonheur.
Les pièces d’inspiration populaire (les Siete canciones populares españolas de Manuel de Falla et les Canciones clásicas españolas de Fernando Obradors) se coupent sur mesure pour la vocalité du ténor. Ainsi la raucité de certains sons, le soutien parfois relâché et les voyelles très ouvertes sur certains aigus parviennent-ils comme des figures de style folklorique et flamenco.
L’ordonnance cohérente des mélodies dans les deux parties met en valeur tout d’abord un registre médium sonore et rond (Asturiana, de Falla), puis offre une montée en puissance progressive pour s’achever en apogée sur des aigus forte projetés énergiquement finalisés d’un coup de talon.
La démesure se révèle dès les premiers sons avec un engagement total de la part du chanteur qui semble jouer sa vie sur chaque note, chaque mot, dans une intensité omniprésente. Cette puissance d’interprétation sied absolument à l’extériorisation de la passion mais elle peut également infléchir le discours, la berceuse Nana se transformant en injonction à dormir et le doux chant d’amour de Damunt de tu nomès les flors en passion sauvage. Il achève cependant cette dernière dans une grande suavité car, bien que souvent emporté dans une interprétation enflammée, Villazón parsème son chant de nuances : des piani envoûtants (le deuxième couplet de Asturiana) alternent avec des instants de grand lyrisme. Cependant, cette variation de couleurs vocales s’appuie sur des gestes techniques démesurés et dans un souci de préserver l’accroche vocale sur les sons piano, le ténor les nasalise puis décroche la mâchoire de façon phénoménale afin de convoquer la puissance, entraînant une certaine raideur et parfois des problèmes de justesse.
Néanmoins rien n’entrave son enthousiasme et en comédien hors pair, il accompagne son chant de gestes démonstratifs, de grands mouvements des bras et de mimiques expressives. La pianiste Carrie-Ann Matheson le soutient et l’inspire par son jeu subtil d’une grande limpidité, parfois virtuose et toujours d’une impeccable précision.
Le parcours de la mesure à la démesure est aussi fortement encouragé par le public duquel fusent les applaudissements (bien que déconseillés dans le programme) sans attendre la fin des cycles, et même des Olé! retentissants (sous l’œil amusé du chanteur mais aussi dans l’oreille irritée de certains spectateurs). Rolando Villazón saisit l'occasion, après l’entracte, de s’adresser au public avec beaucoup d’humour et de décontraction, instaurant avec lui une complicité très appréciée. La soirée s’achève après trois bis dont le tube mexicain Cielito lindo que le public reprend en chœur dans un moment de pur plaisir partagé.