Intenses Dialogues des Carmélites en direct du Met
Cette
production de John Dexter (revue depuis par David Kneuss) place
l’action dans un décor unique, un gigantesque sol en forme de
croix, où les religieuses évoluent
progressivement
mais inexorablement vers leur martyre. Dans la grande scène finale,
cette même croix, en partie cachée par les soldats et la foule se
transforme en une simple allée de lumière menant à la guillotine,
que les sœurs
empruntent lentement l’une après l’autre. Les images sont
marquantes,
brutes et symboliques comme la musique. Les rares fois où
l’action se détourne du couvent des Carmélites, de simples
éléments de décor descendent des cintres pour isoler un nouvel
espace le temps d’une scène, de manière sobre et efficace. La
mise en lumière à la fois douce et nette
de Gil Wechsler contribue à créer une atmosphère de
recueillement, aussi bien chaleureuse qu’oppressante. Les
irruptions de couleurs
des costumes militaires et civils, dessinés par Jane Greenwood, dans
cet univers religieux en noir et blanc accentuent visuellement la
violence de l’expulsion et de l’exécution des sœurs qui passent
de la sobriété de leur couvent aux hurlements de la Révolution.
L’épuration des décors permet un plus grand travail sur la
direction d’acteurs, juste et retenue, qui ne tombe dans aucun
excès.
Dès le court prélude orchestral, Yannick Nézet-Séguin fait se déployer une vivacité chatoyante au sein de son orchestre, doublée d’une précision rythmique et d’une attention sensible portée au phrasé des chanteurs. Chaque interlude orchestral est évocateur et le chef canadien (nommé Directeur musical des lieux en début de saison) porte une attention particulière aux équilibres entre les pupitres. Toutefois, dans le mixage sonore de la retransmission, les accents orchestraux les plus forts couvrent parfois les voix les plus graves de la distribution.
Introduisant l’opéra, les voix de Jean-François Lapointe (pour ses débuts au Met en remplacement de Dwayne Croft) et de David Portillo en Marquis et Chevalier de la Force se répondent et se complètent. Le premier déployant un timbre noble et une autorité appropriées, se trouvant également très expressif à l’évocation de la mort de sa femme ou lorsqu’il accepte la décision de sa fille d’entrer dans les ordres. Le second se distingue par un chant élégant et clair aux aigus faciles et délicats correspondant pleinement à son allure et son attitude juvénile. Il montre plus de fermeté au deuxième acte lors de la scène de sa visite au couvent, très touchante.
Dans le rôle de Mère Marie de l’Incarnation, la mezzo Karen Cargill offre un matériau vocal solide et nuancé, à l’image du personnage qui paraît inébranlable face aux événements dans un premier temps, puis s’attendrit dès lors que la religieuse revêt des habits civils. À l’inverse, sœur Constance à laquelle Erin Morley prête sa voix éclatante et son timbre lumineux est tout d’abord un concentré de jovialité, personnage au visage gai et insouciant, qui évolue grâce à son interprète vers un caractère dévoué, précipité durement dans la terreur révolutionnaire. Ses derniers instants avant de se diriger vers l’échafaud sont bouleversants.
Incarné par la soprano finlandaise Karita Mattila, le rôle éprouvant de Madame de Croissy permet à la chanteuse de déployer son talent dramatique, tant dans le chant que dans le jeu. La voix prend des accents rauques au moment de l’agonie, contrastant avec des aigus souples et rayonnants. Le jeu, habité, rend éloquente la souffrance de la fin de vie tourmentée de la prieure. La maternelle Madame Lidoine d’Adrianne Pieczonka au phrasé souple et coloré se distingue par une présence rassurante dès son obédience au début du deuxième acte, puis lors de l’accompagnement de ses sœurs vers la mort. La voix suit les épreuves du personnage avec aisance et justesse, supportée par un souffle sûr.
Blanche de la Force est interprétée par la mezzo-soprano Isabel Leonard (que les spectateurs avaient pu apprécier dans le rôle-titre de Marnie en début de saison). Forte de sa présence scénique, la chanteuse s’appuie également sur sa voix sonore et agile, passant d’un médium harmonieux à des aigus naturels avec beaucoup de facilité. Son jeu subtil rend transparents les tourments de son personnage, entre conviction et incertitude tout au long de l’opéra. À noter également les prestations de Tony Stevenson, aumônier digne à la voix équilibrée et de toutes les chanteuses interprétant les Carmélites, portant d’une même voix le poignant Salve Regina final. L’ensemble de la distribution fait preuve d’une maîtrise du français et d’une articulation très soignées, elle finit très chaleureusement applaudie à la fin de la soirée.