Une Magic Flute très britannique
Avec une si grande richesse lyrique centrée sur sa capitale, le Royaume-Uni doit beaucoup aux compagnies ambulantes qui offrent des spectacles de qualité internationale dans de -relativement- petites villes avec de grandes salles. La tournée du Welsh National Opera offre ainsi au Mayflower Theatre de Southampton une reprise de la production de Dominic Cooke de La Flûte enchantée de Mozart, teintée de surréalisme, jouée et chantée en traduction anglaise.
Le Welsh National Opera offre de surcroît un ensemble de talents presqu'exclusivement britanniques parmi les solistes, chœurs, orchestre et directions. Anita Watson, d'abord formée en Australie fait figure d'exception mais elle travaille beaucoup en Europe (les Toulousains ont déjà pu apprécier son Tour d'écrou). Sa Pamina de Southampton offre un air à la récitation et à l'émotion intensément sentie et déployée, travaillée et caractéristique dans les inflexions vocales mais elle est aussi marquante dans les ensembles, en particulier avec Tamino dans le finale de l'acte II où son entrée en scène change en un clin d'œil l'équilibre vocal et dramatique. Ben Johnson donne une lecture d'abord franche et large mais un peu pessimiste du rôle-clé de Tamino, assumant la vigueur de l'action scénique et des lignes musicales très intenses mais la voix assombrie tire vers un jeu qui paraît inconfortable face à l'héroïsme et les épreuves initiatiques.
Le Papageno de Mark Stone frappe par un volume constant et stable, dans le chant mais surtout l'agilité du dialogue parlé qui fait beaucoup rire le public, surtout dans les échanges avec Tamino. Adepte des clochettes et des homards (le monstre au début de l'acte I qui revient pour le dîner de Papageno dans l'acte II avec autant de scènes surréalistes) et de la mendicité lâche, ses deux airs solos sont bien contrastés, il assied le quintette du premier acte, enfin son duo avec la Papagena de Claire Hampton (qui déploie un jeu plein d'esprit -à la fois une femme octogénaire et l'épouse de 18 ans) triomphe par son mélange de virtuosité et de domesticité.
Samantha Hay effectue une tournée mondiale en Reine de la nuit. Plus en verve dans son second air, elle offre une dynamique sauvage, des staccati (piqués) perçants ainsi qu'une colorature merveilleusement contrôlée et façonnée avec la présence scénique que le rôle exige, dans l'équilibre mesuré entre les rôles de leader charismatique, mère abusive et rivale vaincue. James Platt donne de Sarastro une vision à la fois de Némésis et d'alter ego de la Reine de la nuit (entre Isis et Osiris). S'il lui manque les notes les plus graves et un peu de puissance, la ligne reste marquée et marquante avec une cohérence de phrasé et de legati expressifs.
Sarastro et la Reine de la Nuit sont chacun soutenus par un trio (les trois dames pour la Reine et les trois garçons pour Sarastro). S'il reste décevant d'entendre d'une manière désaccordée les si belles musiques d'ensemble que Mozart a écrites pour ces derniers, la qualité de l'articulation et de la couleur est celle des cathédrales britanniques. Les trois dames sont pour leur part assurées dans les voix, les lignes communes mais surtout l'attention et la projection (rendue difficile par leur placement au fond de la scène pendant une grande partie de la soirée, loin de la fosse qui est particulièrement basse au Théâtre Mayflower de Southampton).
Le reste de l'entourage de Sarastro anime le second acte davantage que premier. Le Monostatos d'Howard Kirk capture la nature abusive et maltraitée de son personnage et attire plus de sympathie qu'habituellement grâce à sa douceur vocale. Les deux prêtres (Simon Crosby Buttle et Philip Rhodes) combinent leurs chants sobres avec la gravité exigée par le temple de Sarastro, tandis que les deux hommes armés (Joe Roche et Laurence Cole) présentent fièrement les épreuves de Tamino par le feu et l'eau au contrepoint quasi-sacré de Mozart. Si le chœur du WNO (comme à son habitude) est d'une grande précision et musicalité (toute mozartienne dans le placement et l'équilibre) la direction de Damian Iorio ne semble pas exhaler de couleurs vigoureuses dans la fosse.
Alors que l'omniprésence des sous-titres dans les théâtres bat encore et toujours en brèche le besoin de traduire les opéras en langue vernaculaire (même l'English National Opera de Londres semble subtilement s'éloigner des versions traduites en anglais), l'Opéra national du Pays-de-Galles poursuit cette tradition. Cela permet une immersion dans la comédie rythmée de Mark Stone, mais toutefois, la traduction en anglais également rimée de Jeremy Sams pour les arias et les ensembles se heurte plus d'une fois au sens du texte. Le décalage est aussi perceptible entre cette distribution presqu'exclusivement britannique chantant en anglais avec la production de Dominic Cooke qui s'appuie si fortement sur des références puisées chez Magritte, Dali, Duchamp (parmi d'autres) : chapeaux melons multicolores côtoyant des vélos volants, des nuages, des yeux et -bien sûr- le homard. Une correspondance peut-être moins prévisible surgit toutefois en renforçant l'unité de la soirée : Le faux miroir de Magritte, si important pour la production et reproduit dans le programme, a été créé la même année que le Mayflower Theatre de Southampton, en 1928.