Ariane à Naxos aux Champs-Élysées
Après Written on Skin de George Benjamin ainsi que Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, Katie Mitchell s’empare d’Ariane à Naxos de Richard Strauss selon les mêmes principes, non de complète relecture, mais de démonstration d’habileté scénique. Sa mise en scène d’Ariane se distingue par sa maîtrise des déplacements, son attachement à ce que chaque personnage même le plus secondaire existe, sa volonté d’occuper chaque moment de façon incessante et sans aucune pause, quitte à donner le tournis au spectateur. Cette vision à chaque instant trépidante fausse la dimension intime de l’ouvrage et la complexifie. Le vaste salon cossu de nouveaux riches accueille donc cette soirée dangereuse dans une ambiance a priori festive mais surtout tendue. Katie Mitchell introduit à l’action deux nouveaux personnages joués par des comédiens (Rainer Sievert et Anna Daria Fontane), à savoir les riches commanditaires de la soirée qui, en terrain conquis, n’hésitent pas à intervenir directement dans la partie opéra. Ajouté à d’autres options dérangeantes sinon étranges, comme l’accouchement en scène d’Ariane à l’entrée de Bacchus, exemple parmi d’autres, cette approche théâtrale singulière efface par ailleurs l’alternance tragi-comique de l’ouvrage.
Au plan musical, ce sont paradoxalement les seconds rôles qui se distinguent plus particulièrement : Jean-Sébastien Bou, impeccable Maître de Musique au phrasé percutant ou Marcel Beekman, Maître de Ballet certes un rien caricatural, mais chaleureux. Le trio des trois nymphes s’avère en phase au niveau du chant : Beate Mordal (Naïade), Lucie Roche (Dryade) qui se démarque avec son timbre profond et chatoyant, Elena Galitskaya (Echo). Le quatuor des masques apparaît dominé par l’Arlequin du baryton Huw Montague Rendall, voix bien caractérisée et franche, même si les autres interprètes plus en retrait ne déméritent pas : Jonathan Abernethy (Brighella) à la jolie voix de ténor, Emilio Pons (Scaramouche), David Shipley (Truffaldin). Tous fort habiles en scène bien que la mise en scène leur permette peu de s’exprimer librement et les embarque dans une sorte de mécanique sans ressort. Le baryton Jean-Christophe Lanièce se distingue en Perruquier qui parvient à rester zen et à gérer avec gravité sa mission, tout comme Petter Moen (un Officier), Guilhem Worms (un Laquais), baryton-basse prometteur. Le comédien Maik Solbach campe le Majordome avec toute la morgue souhaitée.
En Zerbinette, Olga Pudova, dans sa robe toute illuminée, donne toutes les notes du rôle, avec certes une certaine facilité et un réel abattage, mais sans aisance souveraine. Roberto Sacca parvient sans grand dommage à la fin de l’intervention inhumaine de Bacchus, non sans heurts cependant et non sans écarts : l’incarnation demeure sommaire et privilégie le côté stentor du personnage. La voix de Kate Lindsey (interviewée pour cette production) semble un peu en manque de projection dans le Compositeur. Son beau mezzo clair offre cependant des instants de grâce, une intelligence certaine dans le phrasé, une attention rare aux nuances ici perceptibles dans un personnage trop souvent acculé par son interprète à gérer en premier lieu la colère et l’indignation. De son côté, Camilla Nylund, habile straussienne, laisse se déployer avec aisance sa voix de grand soprano, à la ligne étudiée et lumineuse mais ténue dans l'incarnation, les variations et la palettes de couleurs.
La direction musicale de Jérémie Rhorer, placé à la tête de l’Orchestre de chambre de Paris qui peut paraître un rien sous-dimensionné pour rendre pleinement justice à cette partition fastueuse, offre une gamme assez claire de la musique de Strauss, bien dynamique, mais sans la fluidité et cette aisance qui caractérise cette musique. Le spectacle est bien reçu par le public, mais sans démonstrations d’enthousiasme.
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