Orphée et Eurydice à l’Opéra de Massy ou l’Amour triomphe de la Mort
Pour cette production, le choix s’est porté sur la première version de l’œuvre, en langue italienne, créée en 1762 au Burgtheater de Vienne avec dans le rôle-titre le légendaire castrat Gaetano Guadagni. Cet ouvrage, synthèse idéale de l’opéra seria italien et de la tragédie lyrique française inspirée de Lully et Rameau, dans sa relative brièveté et sa simplicité (1h30 de musique) marque la réunion de deux génies de l’écriture, Gluck pour la musique et Ranieri de' Calzabigi pour le livret. Le mythe d’Orphée descendant aux Enfers pour y chercher son épouse morte, Eurydice (largement exploité par les compositeurs d’opéras) revêt ici une acuité toute particulière et une profondeur rare dont s'empare la mise en scène d'Ivan Alexandre avec force et sincérité. Pierre-André Weitz propose pour les décors une sorte de mise en abyme, une scène sur la scène très classique 18ème siècle noir et or avec son éclairage aux bougies et ses deux colonnes latérales de loges qui accueillent les choristes.
Rien de figé, bien au contraire, mais un focus quasi permanent sur le couple fusionnel formé par Orphée et Eurydice. Les deux époux apparaissent drapés dans un même manteau, avant qu’Eurydice ne bascule subitement dans le trépas. Cette dernière ne quitte ensuite jamais la scène, comme partagée entre Orphée et un personnage muet ajouté par Ivan Alexandre, la Mort elle-même, qui se pose en rival tentateur et fascinant du héros. Eros et Tanatos, Amour et Mort, ponctue dès lors le spectacle, avant que l’Amour ne triomphe de la Mort. Chaque tableau par son esthétisme est à dépeindre comme les retrouvailles en ombres chinoises du couple séparé, ces brassées de roses rouges évoquant les blessures du corps et de l’esprit, la reformation des couples d’amants en fin d’ouvrage. La présence radieuse sur le haut de la scène du harpiste des Musiciens du Louvre -Sylvain Blassel-, évoquant la lyre d’Orphée représente un autre moment de référence.
Ce travail tout en intelligence et en profondeur bénéficie des éclairages magnifiques de Bertrand Killy et des costumes de Pierre-André Weitz. Celui de la Mort évoquant pour partie un squelette et pour partie un motard gainé de cuir frappe sensiblement les esprits. Dans ce dernier rôle, le comédien et danseur allemand Uli Kirsch, présent depuis l’origine de la production, excelle. Il traduit les différentes attitudes de la Mort avec une acuité puissante, moteur du drame et pourtant évincé par la fraîcheur et la pseudo innocence de l’Amour. De ce dernier, Ivan Alexandre fait un personnage presque enfantin, capricieux et boudeur, doté de grandes ailes blanches, assez éloigné de la figure protectrice souvent imposée. Ana Quintans s’amuse et le public avec, se délectant presque de la situation, et revenant presque surprise à sa mission première. La voix sonne de façon ravissante, bien placée et légère, avec un soupçon d’impertinence bienvenue.
En Eurydice, Marie-Adeline Henry scéniquement très impliquée, déploie une voix de soprano imposante et disposant d’un aigu très épanoui, aisée sur tout le registre, avec un timbre chaleureux, totalement complémentaire de celui du contre-ténor Christopher Ainslie. Le matériau vocal de ce dernier peut sembler un rien confidentiel au début de l’ouvrage. Mais la voix ne cesse ensuite -sans n’être jamais importante- de révéler des couleurs plus affirmées, une ductilité nouvelle, un sens du phrasé qui semble s’être affermi depuis les représentations nancéiennes. Ses plaintes déchirantes, son ardeur, portent assurément au cœur et son incarnation d’Orphée mise en premier lieu sur la sincérité. Le Chœur de l’Opéra de Massy et le Jeune Chœur (celui-ci créé l’an dernier et placé sous la direction de Jérôme Correas), se donnent à part entière, faisant preuve d’une musicalité précise et affirmée. À la tête des renommés Musiciens du Louvre, Sébastien Rouland déploie un univers sonore qui se veut conforme à la réalisation scénique, à la fois épanoui et équilibré, exploitant sans réserve les subtilités de cette partition unique. Une longue ovation de la part d’un public venu nombreux récompense justement cet Orphée et Eurydice.
Sébastien Rouland dirigera à compter du 30 mars prochain une série de six représentations du Postillon de Lonjumeau d’Adolphe Adam programmée à l’Opéra Comique avec Michael Spyres dans le rôle-titre et l’Orchestre de l’Opéra Rouen Normandie. Réservez vite !