Un Monsieur de Pourceaugnac touchant à Versailles
Monsieur de Pourceaugnac est une comédie-ballet imaginée par Molière et Lully, pour le divertissement du Roi Louis XIV. Fidèle à son habitude, le dramaturge a la dent dure envers les puissants, leur donnant volontiers le rôle du benêt crédule manipulé par des intrigants imaginatifs. En l’occurrence, la pièce est ici particulièrement féroce, et l’on finit par s’apitoyer pour ce gentilhomme honnête trahi par la confiance accordée à un inconnu. Car ce qui en fait une pièce sombre, c’est justement que l’objet de dérision n’est ni particulièrement pingre, ni méchant, ni envieux. Il débarque simplement de province à Paris, ignorant des codes, pour épouser une jeune femme, Julie, qui lui est promise. Celle-ci refusant le choix de son père, paie Sbrigani et Nérine, afin que le prétendant indésirable laisse place nette pour l’amant aimé. Pourceaugnac subira dans l’affaire nombre d’humiliations et finira par fuir la capitale dans laquelle « ils commencent […] par faire pendre un homme, et puis ils lui font son procès ».
Gilles Privat (Monsieur de Pourceaugnac) et Daniel San Pedro (Sbrigani) dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger (© Brigitte Enguerand)
Afin d’assurer une unité dramaturgique malgré les pages musicales, le metteur en scène, Clément Hervieu-Léger, a fait appel à une troupe de onze comédiens assurant également les parties dansées et chantées. Cette troupe est emmenée par l’excellent Gilles Privat, ancien pensionnaire de la Comédie-Française, qui compose un Monsieur de Pourceaugnac touchant, ce qui souligne encore davantage la noirceur de l’intrigue que son personnage subit. Face à lui, le Sbrigani manipulateur de Daniel San Pedro (qui codirige la Compagnie des Petits Champs avec le metteur en scène), insuffle une grande énergie à l’action. Le reste de la troupe est au diapason. L’intrigue prévoyant de nombreux déguisements et travestissements de personnages, offre aux comédiens de nombreuses occasions de faire montre de leurs talents.
L’inconvénient du parti-pris consistant à n’avoir qu’une troupe pour les parties jouées, chantées et dansées apparaît cependant lorsqu’arrivent les ballets. L’absence de véritables danseurs se fait alors sentir : la grande simplicité des chorégraphies met peu en valeur ces passages, qui perdent une grande partie de leur intérêt. Heureusement, William Christie, installé au clavecin tout en dirigeant son ensemble des Arts Florissants, ici composé de huit musiciens (parmi lesquels une mention spéciale doit être décernée à Thomas Dunford pour sa magnifique interprétation au théorbe) et jouant dans un coin de la scène, offre une partition finement jouée. Le chef prend manifestement du plaisir sur cette scène et dans ses interactions avec les comédiens.
Claire Debono dans Monsieur de Pourceaugnac dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger (© Brigitte Enguerand)
Vocalement, nous retiendrons notamment la prestation de la soprano Claire Debono dont le timbre clair et la voix puissante ont fait merveille dans les parties solo et ressortent joliment dans les ensembles. A ses côtés, la haute-contre Erwin Aros a également offert une belle page musicale.
Après Versailles, la troupe continuera sa tournée Aix, Compiègne, Bilbao, Madrid ou encore Genève, jusqu’aux mois de juin et juillet où elle investira le théâtre des Bouffes du Nord à Paris.