Jalousie et trahison, Amadigi par Les Paladins à Massy
Si Amadigi impressionne en 1715 par les effets spectaculaires des tout nouveaux décors, usant de la machinerie de scène (flammes, nuages, vraie fontaine), le metteur en scène Bernard Lévy utilise des moyens contemporains pour suggérer les univers dans lesquels l’opéra baroque emmène le spectateur. Il crée un écrin en cernant la scène de trois murs sur lesquels sont projetés couleurs en dégradés ou motifs géométriques, jamais vraiment statiques, selon les atmosphères des lieux ou les humeurs des personnages. En outre, il est agréable de pouvoir y lire les surtitres, parfois placés au plus proche du protagoniste. Un banc, lors du premier acte, et une chaise, au début du troisième acte, constituent les seuls et discrets accessoires, au service de l’évolution scénique des personnages, enlevés presque dès qu’ils ont servi. Cette sobre scénographie permet alors, comme une version de concert, de mettre d’abord en valeur la musique et le chant tout en y ajoutant une lecture suggestive du spectacle requise par le livret.
À la différence de certains autres opus du compositeur, les impressionnants effets scéniques et musicaux sont facilités par une intrigue relativement simple : le vaillant Amadis aime la belle Oriane, retenue par la magicienne Mélisse, jalouse de cet amour. Elle compte sur la complicité du Prince de Thrace Dardano, pourtant ami d’Amadis mais aimant aussi Oriane. Cette histoire d’amour(s) héroïque et féerique en trois actes ne requiert ainsi que quatre solistes qui ont tous droit à plusieurs airs, de bravoure et de lamentation. La mezzo-soprano Sophie Pondjiclis a définitivement repris le rôle d’Amadis (initialement confié au contre-ténor Rodrigo Ferreira, souffrant dès la première), dans lequel elle s’investit. Sa voix doit avant tout gagner en projection pour ne pas paraître faible après les interventions énergiques de l’orchestre. Cela n'empêche toutefois pas d'apprécier la rondeur de ses graves et surtout la belle maîtrise de son souffle et de ses vocalises. Son vibrato toutefois un peu trop ample empêche parfois la clarté de certains ornements serrés. La reprise de ce rôle est sans doute encore un peu fraîche, notamment trahie dans les passages les plus expressifs et rapides.
Grâce à la présence sûre de la soprano Aurélia Legay, Mélissa est défendue avec panache et force couleurs. La noirceur de ses médiums et le tranchant de ses aigus reflètent la colère et la vengeance de cette cruelle (car malheureuse) magicienne. Sa bravoure rivalise avec le tout aussi vaillant trompettiste Guy Ferber, dans son brillant air « Desterò dall’empio Dite » (acte II). La belle Oriane est interprétée par la sensible soprano Amel Brahim-Djelloul, qui touche par ses aigus lumineux, ses phrases expressives et ses ornements scintillants. Dans ses airs, elle use d’une stratégie toute particulière mais très efficace : la première exposition est interprétée avec simplicité et même une certaine retenue, gagnant fortement en intensité lors de la reprise da capo, plus investie, plus présente. Un sommet pour sa bouleversante lamentation « S’estinto è l’idol mio » (acte II).
La contralto Séraphine Cotrez interprète le rôle de Dardano. Elle dispose de superbes graves sûrs et sonores, mais ses vocalises traînantes sont gênées par un souffle trop court et son discours est haché par des registres inégaux. Le « Pena tiranna io sento al core » (acte II) est poignant, notamment grâce aux instrumentistes.
Les musiciens des Paladins se montrent énergiques tout le long de la soirée, avec couleurs et précision sous la direction attentive de Jérôme Correas. Tel un personnage participant à l’action, l’ensemble dialogue avec le plateau et dépeint avec relief les différentes atmosphères enchanteresses. Certains décalages se font toutefois remarquer, notamment lors des airs d’Oriane, dès la deuxième partie du deuxième acte. Certains passages auraient également pu gagner en tendresse et suspension, par exemple lors du « Sussurrate onde vezzose » d’Amadis (acte II), un rien trop rapide.
Après un heureux quatuor final, la distribution est chaleureusement applaudie, particulièrement le chef et ses musiciens, et plusieurs fois rappelée pour saluer sur le devant de la scène, arborant de grands sourires.