Concert Liszt au Musée de la Vie Romantique par Cyrille Dubois et Tristan Raës
Les spectateurs ayant manqué ou apprécié Cyrille Dubois dans les quelques minutes des couplets de Iopas parmi Les Troyens de Berlioz à Bastille, peuvent ici se rattraper ou prolonger le plaisir. D'autant que le cadre de ce concert est particulièrement bien choisi : le Musée de la Vie romantique est précisément situé dans l’arrondissement de Paris (le 9ème) où Liszt se familiarisa avec le romantisme français, rencontra et fréquenta nombre d’artistes dont plusieurs devinrent ses amis (Adolphe Nourrit, George Sand, Frédéric Chopin entre autres), et assista à de nombreux concerts privés donnés dans des salons. C’est précisément à l’une de ces soirées musicales que les spectateurs du concert consacré à Franz Liszt ont ici l’impression d’assister, serrés dans le salon de musique du musée.
Le programme de la soirée est habilement construit, autour de trois sphères culturelles et linguistiques chères au compositeur hongrois : l’Allemagne avec neuf Lieder sur des textes de neuf poètes, la France avec des poèmes de Hugo, l’Italie avec Boccella et trois sonnets de Pétrarque. Un programme auquel rend honneur le chant maîtrisé de Cyrille Dubois sur le triple aspect de la technique, de l’interprétation et de l’émotion.
La voix, posée et projetée naturellement, déploie couleurs et nuances dans un legato velouté. Les gruppetti, les trilles (au demeurant assez rares dans ces pages) sont précis. La couleur du timbre, tendre et soyeux, est celle d’un ténor léger. Pourtant capable du plus ineffable murmure, Cyrille Dubois laisse tonner sa voix avec éclat dans les pages les plus dramatiques, faisant passer le frisson dans le public. Le ténor raffiné et délicat ne laisse guère soupçonner dans un premier temps une telle puissance sonore. C’est parfois au sein d’une même phrase, d’un même vers que Cyrille Dubois passe du pianissimo éthéré au fortissimo éclatant, sur un aigu attaqué en voix de tête, enflant progressivement jusqu’à emplir et faire vibrer le salon de musique de ses harmoniques puissants.
La technique n’est cependant jamais une fin en soi, mais mise au service de l’interprétation : l’aigu fortissimo de « Lieb’Knabe, bist mein ! » / « Tu es à moi, cher garçon ! » (« Der Fischerknabe » / « Le Jeune Pêcheur ») terrifie : le lac personnifié de la mélodie apparaît ici comme un nouveau Roi des aulnes, engloutissant une victime innocente après l’avoir attirée par un chant envoûtant. Le « chant sur le souffle » sur lequel se posent les paroles du « Liebestraum » / « Rêve d’amour » (« O lieb, solang du lieben kannst ! » / « Ô aime, tant que tu peux aimer ! ») traduit quant à lui l’ineffable tendresse teintée de mélancolie du conseil donné à la jeune femme destinataire du poème. De même, le chant piano et le frémissement sensuel dont Cyrille Dubois pare le mot « femme » dans le vers « Pose un baiser, d’ange deviens femme » (« Oh ! quand je dors »), incarne avec délicatesse le désir délicatement érotique qui s’empare du poète à l’approche de sa bien-aimée.
L’étroitesse du salon favorise en outre l'émotion, également rendue possible par l’extrême soin apporté à l’articulation, à la portée poétique des mots, à la prosodie (particulièrement en allemand et en français, l’italien étant un peu moins idiomatique).
Le pianiste Tristan Raës est également un artisan du succès de cette soirée, poète capable d’introduire un Lied en en posant d’emblée le cadre dramatique (l’introduction du Fischerknabe évoque dès les premières mesures le lac à la fois majestueux et dangereux), tout comme de le conclure de façon expressive : les dernières mesures du Liebestraum sonnent comme le prolongement poétique de la voix du chanteur avec délicatesse.
Au terme de cette soirée enthousiasmante, le public acclame les artistes et réclame au chanteur pas moins de trois bis, avant le CD annoncé pour l’automne prochain chez Aparté !