La Damnation de Faust inspirée et transcendante à la Philharmonie
Concert diffusé sur France Musique le 7 février 2019 à 20h :
Dans le cadre des célébrations du 150ème anniversaire de la disparition d’Hector Berlioz, Radio France a programmé La Damnation de Faust avec l’Orchestre National de France sous la baguette de son directeur musical actuel, Emmanuel Krivine. Ce dernier souffrant a été remplacé par Charles Dutoit qui effectuait ainsi sa rentrée en France.
Compte-tenu des polémiques touchant Charles Dutoit et de ses rapports distendus sinon conflictuels avec l’Orchestre National de France dont il fut directeur musical de 1991 à 2001, une certaine tension semblait pouvoir se faire jour en amont du concert, avec d'éventuelles manifestations hostiles dirigées vers le chef suisse. Il n’en fut absolument rien et la musique de Berlioz, sous sa direction, rayonne de tous ses feux, dans toute sa dimension expressive. Berliozien éminent et affirmé, Charles Dutoit a souvent dirigé cette si singulière légende scénique en quatre parties au concert. À 82 ans, force est de constater qu’il n’a rien perdu de son enthousiasme, de son énergie et de son amour pour cette partition à nulle autre pareille, à la fois intensément dramatique et emplie d’un imaginaire débordant. Loin de chercher à tout prix la démesure, le déploiement des forces ou du muscle, Charles Dutoit affirme une vision globale, équilibrée, exploitant en profondeur les instants de recueillement, de douleur ou l’humour sardonique qui entoure le personnage de Méphisto. Il permet par ailleurs à l’orchestre de s’épanouir pleinement (La Course à l’abîme ou La Marche hongroise, cette dernière enthousiasmante) ou aux solistes instrumentaux de briller au mieux (partie d’alto accompagnant La Ballade du Roi de Thulé).
Si l’Orchestre National de France joue pleinement le jeu durant toute la représentation, donnée sans entracte, le Chœur de Radio France, dirigé depuis septembre 2018 par Martina Batič, se surpasse, notamment les pupitres d'hommes durant le Pandémonium. Pour la superbe scène finale voyant l’apothéose de Marguerite, la Maîtrise de Radio France, conduite par Sofi Jeannin, apporte sa part de ravissement et de transparence.
Annoncé victime la veille du concert d’un problème de santé, John Osborn (qui se considère comme un ambassadeur du répertoire français) a malgré tout tenu à assurer sa partie. Si la voix demeure de fait un rien prudente notamment pour la sublime Invocation à la nature de la quatrième partie de l’ouvrage, le ténor américain séduit par l’émotion qu’il traduit de façon constante, la conduite de son chant, le style, le sens naturel des nuances, la clarté de son aigu émis pour partie en voix mixte.
Le Méphistophélès fort subtil incarné par la basse Nahuel di Pierro (à découvrir ici en interview), fait valoir un timbre de caractère, un grave bien assis avec un aigu un peu couvert toutefois. Dans la grande salle de la Philharmonie de Paris, la projection peut paraître un peu courte certes, mais l’artiste passe heureusement la rampe d’une autre manière. Plus que dans l’air sérieux Voici des roses, son tempérament s’affirme dans la Chanson de la Puce ou la Sérénade Devant la maison de celui qui t’adore qu’il interprète de façon justement sarcastique.
Avec son timbre si personnel, ses couleurs chatoyantes et changeantes, Kate Lindsey propose une Marguerite un rien éthérée, d’une voix comme suspendue dans l’espace et le temps, mais capable de belles envolées lyriques. La prestation pourrait être un peu plus capiteuse cependant, moins centrée sur le même fil conducteur. Le Brander d'Edwin Crossley-Mercer complète avec talent et une présence indéniable le plateau vocal réuni.
Cette Damnation de Faust passionnante poursuit en beauté l'ouverture d'une année commémorative. Elle reçoit un accueil fort chaleureux et unanime de la part du public présent.