La Clémence de Titus d’époque à Tourcoing
Un
espace symétrique, dessiné de colonnes, avec de larges entrées de
chaque côté telles les portes d’un palais impérial. Cette mise en
scène de La Clémence de Titus de Mozart par
Christian Schiaretti montre d’emblée une esthétique classique,
avec des personnages aux costumes sur mesure (œuvre d’Émily Cauwet-Lafont), réminiscences de fresques antiques. La Grande Écurie et la Chambre du Roy sous la battue énergique
d’Emmanuel Olivier s’annonce exaltée et fastueuse, augurant
l’apparition à venir du souverain. De longs rideaux carminés se
posent devant les premières colonnes, laissant seulement visible
l’avant-scène pour le premier récitatif entre Sesto et Vitellia.
Ces rideaux, drapés et bandeaux amenés depuis le haut de la scène
parsèment le travail de Christian Schiaretti. Ils tuilent l’enchaînement des différentes situations
sans perdre en fluidité autour d’un matériau scénique
relativement statique. Habillant et dessinant l’espace (en
accord avec les robes brodées, les toges et les capes), il accompagne les événements.
Ainsi, les initiales « SPQR » (Senatus populusque romanus : Le Sénat et le peuple romain) floquées sur deux bandeaux près
du trône de l’Empereur viennent-elles incarner symboliquement Rome sur
scène et rappeler le sujet politique de l’ouvrage par-delà les
mélis-mélos amoureux. Le fond de scène, d’abord
tapissé de noir, vient par la suite s’ouvrir sur la ville, telle
une fenêtre sur une lumière incandescente (Julia Grand) qui se mêle à la teinte rouge pourpré des bandeaux, illustrant le Capitole en feu et annonçant le meurtre (présumé) de Titus.
Sur cet espace, le plateau vocal se montre investi et convaincu, avec une certaine homogénéité dans l’ensemble de jeunes voix prometteuses. Jérémy Duffau, jeune empereur Tito, apparaît en premier lieu, vêtu d’une longue toge, avant de porter l’habit militaire puis royal, couronné de lauriers. Sa grandeur (physique comme symbolique), alliée à un jeu souvent économe en mouvement (excepté lorsque la droite stature se voit perturbée par le dilemme), offre visuellement un personnage à la majesté notable. Vocalement, le ténor assoie l’autorité de son personnage avec une voix très poitrinée au vibrato mesuré, montrant des aigus charnus qui se raidissent malgré tout dans l’extrémité supérieure de la tessiture lorsque poussée dans les forte et fortissimi mais adoucis par des médiums et des graves consistants. Si cette attention au corps dans la voix se paye de difficultés dans les vocalises rapides, la diction est en revanche à saluer, avec des accents brillants. L’interprète offre par ailleurs du relief à son personnage, notamment lors de la confrontation avec Sesto condamné où il abandonne l’intonation de l’empereur pour celle de l’ami, dévoilant vocalement le lien envers cet être qui lui est cher.
La Vitellia de Clémence Tilquin soutient le drame par son impétuosité insolente. Coiffe, bijoux et longue robe ornée rappellent sa lignée royale et renforcent son aisance scénique, son imprégnation du personnage manipulant Sesto. De même, concernant la performance vocale : d’un timbre chatoyant, elle déploie les lignes hargneuses de sa colère vengeresse initiale au vibrato serré, côtoyant par la suite des aigus de satin ("Oh amore! oh fede!"), apprenant que Sesto ne l’a point dénoncée. Son aria "Non più di fiori vaghe catene" au bord du suicide, dévoilant la résignation du personnage face au pouvoir, est d’une grande élégance, tant dans la conduite des lignes que dans l’articulation, mais laissant paraître des graves timides, avec un « pietà » presque étouffé. Face à elle, le Sesto d'Amaya Dominguez est une allégorie du tiraillement, abattu jusque dans les gestes (le visage fréquemment tourné vers le sol et la fosse, le menton rentré vers l’intérieur, la voix moins projetée) et la démarche (les pas hésitent, titubent parfois), montrant quelques signes de courage suite aux injonctions de Vitellia, dégainant alors l’épée pour commettre le meurtre, avant de retomber dans le doute. La souffrance constante du personnage jusqu’au face-à-face crucial avec Titus progresse au fil de l’ouvrage. Elle se retrouve dans une voix agitée, parfois bouillonnante et très vibrée, qui se fait assez sonore (en particulier tête levée) et chaleureuse, et dont les aigus comme les médiums s’allient dans une belle homogénéité pour les arias ("Parto, parto" soigné, comme attendu) comme dans les récitatifs.
À ses côtés, d’abord discret et soumis à son destin face à l’Empereur qui choisit pour femme son amante, l’Annio d’Ambroisine Bré (qui nous parlait de cette production et des Victoires de la Musique Classique en interview) gagne progressivement en assurance pour se révéler lors du deuxième acte, se mesurant à César ("Tu fosti tradito") dans une aria où la mezzo-soprano montre la vaillance nécessaire sans perdre son sang-froid ni son souffle. La voix est puissante, escaladant le registre avec aisance vers des aigus sopranisants. Malgré une présence sur scène sporadique, la Servilia de Juliette Raffin-Gay captive par des interventions remarquées, alors qu’en des aigus corsés et rebelles elle se mesure à la volonté du souverain et à Vitellia. La voix est juste, ancrée, et s’affirme sans pousser, avec des vocalises bien filées.
Soliste dans la Messe du Couronnement donnée in loco il y a peu, Marc Boucher troque le costume de ville pour le plastron militaire du général romain qu’il porte à merveille en Publio. Le baryton offre des lignes plus chatoyantes que caverneuses dans les récitatifs comme dans l’aria "Tardi s’avvede", mais n’en reste pas moins d’une autorité de fer (les « Vieni » à Sesto, injonctions inébranlables).
Si La Grande Écurie et la Chambre du Roy laissent passer des attaques imprécises et quelques confusions dans le jeu, elle se révèle admirable dans l’accompagnement du plateau. La fosse écoute, soutient et porte les voix, elle les suit et les inspire en nuances tout au long de l’ouvrage avec énergie. À leurs côtés, le Chœur de l’Atelier Lyrique montre également un bel investissement, avec une fin de premier acte soignée lorsque, à l’évocation du Capitole en feu (des confettis tombant du plafond, tels des débris de bâtiments), celui-ci annonce la « noire trahison » ("Oh nero tradimento") et le meurtre de Tito.
Fruit de la treizième collaboration entre Christian Schiaretti et l’Atelier Lyrique de Tourcoing (l’ouvrage ayant été sélectionné par Jean-Claude Malgoire), cette production apparaît comme un clap de fin, le metteur en scène annonçant qu’elle serait "probablement" sa dernière au sein de l’institution tourquennoise.
Ave Malgoire, Morituri te Salutant !