Concert de Gala à Garnier par l’Académie de l’Opéra de Paris
Traditionnellement, les concerts présentés par les artistes en résidence à l’Académie de l’Opéra de Paris sont l’occasion, pour le public, de prendre conscience de la difficulté du métier de chanteur en suivant l’évolution de jeunes interprètes encore en formation, mais aussi de découvrir certains artistes qui, peut-être, feront les beaux soirs des diverses scènes lyriques de France et d’ailleurs. Pourtant, ce concert de Gala au Palais Garnier a été bien plus que cela, donnant à plus d’une reprise l’impression d’assister à un récital d’artistes chevronnés.
Alexander York / Liubov Medvedeva (© Studio j'adore ce que vous faites ! - OnP)
Le concert révèle trois jeunes talents fraîchement entrés à l’Académie (en septembre dernier). L’Américain Alexander York (baryton) interprète le "Rivolgete a lui lo sguardo" (Rendez-lui ce regard) de Mozart avec une belle assurance. Cependant, les aigus sont plus fragiles que les graves (chaleureux et bien projetés), et il lui faut encore acquérir un peu plus d’homogénéité dans l’émission et de liaison entre les registres. La toute jeune Liubov Medvedeva (21 ans) crée une vraie surprise : elle interprète un "Chacun le sait" (La Fille du régiment) plein de charme et d’abattage, avec des aigus et suraigus déconcertants de facilité, justes mais surtout puissants, ronds, chaleureux –caractéristiques assez rares chez ce type de voix. Enfin, le baryton Timothée Varon fait preuve, en Belcore (L’Élixir d’amour), d’une indéniable aisance scénique et vocale : un peu à la peine dans les quelques passages ornés, le baryton français fait entendre un timbre très homogène sur toute la tessiture et une belle projection naturelle donnant l’impression que la voix n’est jamais forcée.
Maciej Kwasnikowski / Sarah Shine (© Studio j'adore ce que vous faites ! - OnP)
Les autres interprètes sont déjà membre de l’Académie depuis une ou plusieurs années. Maciej Kwaśnikowski et Sarah Shine confirment leurs qualités de style, de naturel et d’élégance dans la ligne de chant. Le premier, convaincant dans Rossini comme dans Mozart, gagnerait à apporter un peu de variété dans l’expression (la reprise de d’"Un aura amorosa" de Cosi est identique et à sa première occurrence) et à user plus fréquemment de la nuance piano. La seconde propose une interprétation très fraîche de l’air de Zaïde, malgré un ou deux aigus légèrement bas et des fins de phrases parfois un peu abruptes. Danylo Matviienko fait entendre une voix saine aux graves assurés et aux aigus bien projetés. L’interprète est extrêmement sobre et est constamment attentif au style, à la justesse et à la rigueur musicales. Le mezzo de Farrah El Dibany (entendu dans une rare page de Djamileh de Bizet) est soyeux et velouté, mais toujours avec certaines fluctuations dans l’émission –qui, cependant, a paru gagner en soutien et en homogénéité depuis l’an dernier.
Farrah El Dibany / Danylo Matviienko (© Studio j'adore ce que vous faites ! - OnP)
Jeanne Ireland et Jean-François Marras possèdent des qualités complémentaires : timbre sombre (avec un petit vibrato serré sur les aigus, qui leur confère un pouvoir d’émotion supplémentaire) et interprétation pleine d’intériorité pour la première, timbre lumineux (couronné d’aigus aisément projetés, à l’exception de celui sur le mot « ivresse » dans le duo de Roméo et Juliette) et expansivité dans l’expression pour le second. Jeanne Ireland ne se départit pas d’une certaine raideur dans son interprétation de l’air des lettres de Charlotte (Werther), mais elle fait preuve d’une belle intelligence du texte, et la voix, bien projetée, n’est jamais couverte par l’orchestre. Jean-François Marras charme par une émission pleine de naturel, un timbre intrinsèquement touchant, son attention aux nuances. Comme son Belcore, il savonne quelques vocalises dans le duo de L'Élixir, mais son Roméo (Gounod) est émouvant.
Jeanne Ireland / Jean-François Marras (© Studio j'adore ce que vous faites ! - OnP)
Enfin, Marianne Croux et Angélique Boudeville paraissent transfigurées. Le public avait déjà apprécié leurs performances l’an dernier, dans le cadre des concerts de l’Académie ou lors du Concours Voix Nouvelles pour Angélique Boudeville (où elle remporta la seconde place et le prix du public). Marianne Croux (voix aiguë mais ronde, sans aucune stridence ni acidité, prononciation soignée, vocalises perlées, aigus justes, fiers, éclatants) subjugue avec Manon. Angélique Boudeville affronte crânement le second air d’Anna (Don Giovanni), avec autorité dans l’accent, émotion, technique (belles vocalises finales, en dépit du tempo rapide). Sa Juliette de Gounod donne également envie de l’entendre maintenant dans l’intégralité du rôle.
Marianne Croux / Angélique Boudeville (© Studio j'adore ce que vous faites ! - OnP)
Le chef Jean Deroyer ne se contente pas d’accompagner les chanteurs : avec la complicité d’un orchestre attentif et précis, il leur offre, pour chaque morceau interprété, un cadre à la fois élégant et juste stylistiquement.
Le concert s’achève avec le finale du deuxième acte de La Chauve-Souris de Johann Strauss II, irrésistible de charme et d’entrain : voilà qui donne envie d’assister aux représentations de l’ouvrage, qui sera donné dans son intégralité par les pensionnaires de l’Académie, dans les mois à venir, à Bobigny, Besançon, Compiègne, Amiens et Grenoble.