Le Comte Ory à l’Opéra de Liège, finesse comique
Un bijou visuel et auditif, précis, éclatant et tout sauf poli, qui place les fêtes de Noël sous le signe de la désinvolture, avec une touche de classicisme pourtant.
Hystérie, libertinage, prêtres volages, pages travestis composant les quiproquos de cette histoire médiévale mise en livret par Eugène Scribe, airs colorés et libres, gaieté profonde : telles sont les armes que Rossini offre à Denis Podalydès pour combattre le puritanisme (comme il le revendique explicitement). Pour ce faire, sa mise en scène ne commet pas l'erreur de sombrer dans la vulgarité. Le tableau d’époques (à la fois celle de l'histoire et de la musique) présente quatre murs marbrés avec pour seule décoration, une collection complète d’objets religieux amassés, des rideaux blancs et des velours cossus rouges de prie-Dieu : un tableau Caravage, transposition 1900, avec des jeux de lumière (signés Stéphanie Daniel), comme un arrêt sur image, blanchis par les costumes de Christian Lacroix.
Entre lin et velours, entre travestissement et illusion, les corps et les voix exhalent le jeu du désir. Comtesse ou plutôt Reine de la distribution, la jeune Jodie Devos (qui chantait le petit rôle d'Alice à l'Opéra Comique) rayonne, étourdissante de liberté et pourtant de maîtrise (dans le rôle de la Comtesse Adèle). Entre hystérie et pudeur, la jeune femme se joue de la vélocité et pyrotechnie vocale, en se montrant victime de la résistance aux pulsions charnelles, du poids des interdits de l’Église, jusqu’à l’explosion d'un climax vocal. La voix reste libre, intuitive et précise, claire, pure et malléable.
D'autant que Le Comte Ory semble se construire progressivement avec ces aigus féminins en ligne de mire. La pièce s’ouvre sur la voix d’Enrico Marabelli, grand baryton au souffle légèrement court dans le rôle de Raimbaud, malgré des graves élégants et une voix bien cernée, le suspens musical se creuse avec le rôle-titre du Comte (Antonino Siragusa) et sa voix de ténor latine, précise, claire, presque maniérée et pincée. L’introduction reste très masculine, Antonino Siragusa, puissant, véloce et d’une diction acérée sert la tradition des voix romantiques italiennes, qui se déploient dans les notes les plus aiguës. Homme à la voix abyssale, que le public liégeois a récemment pu voir sur la scène de Tosca, Laurent Kubla s’offre un rôle de gouverneur à la mesure de son timbre, grave, masculin, solennel, profond. Toutefois, outre un léger problème de diction et de mots parfois mâchés dans le registre inférieur, le jeu semble quelque peu peiner et amoindrir de fait la projection sonore face à la fosse d'orchestre.
Dans le rôle travesti d'Isolier, la mezzo-soprano Josè Maria Lo Monaco réussit à se faire entendre au côté d'Adèle par des aigus chatoyants et une implication scénique en retenue et maîtrise. Les débuts semblent pourtant difficiles, mais la voix se déploie finalement avec grâce à la mesure du rôle et de pointes irisées (les graves restant légèrement plats).
Alexise Yerna, grande habituée des planches liégeoises, incarne Dame Ragonde. La voix tremblante, acide et burinée sied toutefois à ce personnage de duègne défraîchie et maniérée. La mezzo-soprano souffre cependant d’une attaque de notes courte, imprécise et très ondulée. Enfin et a contrario, Julie Mossay en Alice se montre efficace, souple voix de soprano légère et claire.
Sous la direction de Jordi Bernàcer, chef d’orchestre résident de l’Opéra de San Francisco qui dirige pour la première fois l’Orchestre de l'Opéra Royal de Wallonie-Liège, la partition de Rossini est maîtrisée avec la précision d'un beau rythme soulevé, malgré quelques problèmes de synchronisation entre l’orchestre et les solistes (alors que les chœurs les aident à retrouver le tempo, notamment grâce à la présence marquée des choristes féminines).
Le public célèbre cette production et son casting équilibré, Rossini rayonne ici pour les fêtes !