Montpellier debout pour Bach et Stutzmann
Sa
voix chaude, profonde et d’une exceptionnelle rareté de contralto,
Nathalie Stutzmann la met entièrement au service de la musique et du
son d’ensemble. Rien de superflu, ni démonstration technique, ni
prouesses vertigineuses, bien au contraire, Nathalie Stutzmann,
lorsqu’elle chante, devient humblement l'un des instruments de
l’orchestre. Elle trouve un équilibre surprenant, sa voix ne
passant jamais par dessus l'ensemble Orfeo 55 qu'elle dirige tandis qu'elle chante, mais n'est pour autant pas écrasée par ce dernier : le public n’a pas à fournir un
quelconque effort pour entendre la mélodie. Cet équilibre presque
mystique fascine si bien que pendant l’aria « Vergnügte
Ruh », le son nuancé et les longs piano
legatissimo de l’orchestre associés aux mouvements de tête,
de dos et de bras de Nathalie Stutzmann, habitée, prend un caractère hypnotique
et apaisant.
Cette humilité qui accompagne chaque instant du concert, de la sobriété de sa tenue à ses saluts toujours discrets et timides en réponse aux applaudissements ne sauraient non plus empêcher l’auditeur d’apprécier la richesse, la rondeur de son timbre de velours et l’homogénéité de cette voix dont toutes les qualités sont condensées dans la cantate « Ich habe genug » (Je suis comblé) interprétée en entier en fin de programme.
Le jeune baryton-basse Leon Košavić aborde le répertoire de manière plus opératique notamment dans l’aria de « Ich gehe hin » (Je m'en vais) où il déploie une voix extrêmement sonore, très brillante, souple et d’une agilité notable capable de soutenir des vocalises particulièrement rapides. Il domine l’orchestre de manière presque détachée, occupé à assurer une technique vocale impeccable, mais délaissant quelque peu l’intention et le texte. Il interprète avant l’entracte la cantate « Ich will den Kreuzstab gerne tragen » (Je porterai volontiers la croix) et fait montre pendant la première aria de hauts médiums et d’aigus spacieux, éclatant également dès le premier récitatif « Mein Wandel auf der Welt » (Mon pèlerinage dans le monde), d’une plus grande attention à l’interprétation. Il excelle dans le duo de la cantate Actus tragicus « In deine Hände, befehl’ ich meinen Geist » (Dans tes mains je remets mon esprit) où, entraîné par Nathalie Stutzmann, il est beaucoup plus nuancé et impliqué émotionnellement.
L’orchestre Orfeo 55 se démarque par l’investissement extraordinaire de chacun de ses musiciens qui débordent de vie, d’énergie et sont engagés corps et âmes. Ils parviennent à conserver un équilibre global notamment pendant la Sinfonia n°5 de la Cantate BWV 35 où l’ensemble devient un unique instrument joué avec élégance et délicatesse par Nathalie Stutzmann. L’orchestre se transforme en chœur à la fin de la Cantate BWV 56, interprétant le choral « Komm, o Tod, du Schlafes Bruder » (Viens, o mort, sœur du sommeil) avec justesse et pertinence.
Deux musiciens sont particulièrement remarquables et ovationnés : la claviériste virtuose Chloé Sévère, à l’orgue et au clavecin, qui porte et entraîne souvent avec elle tout l’orchestre du bout de ses doigts lorsque leur cheffe devient chanteuse, et la violoncelliste Alice Coquart, surprenante, solide, infaillible et infatigable qui accompagne toutes les arias.
Tout le public du Corum est debout pour acclamer les artistes et féliciter la minutie de l’exécution d’un programme sans faute.