Violetta libérée par la Mort : La Traviata par Olivier Py à Malmö
Pour voir la première mise en scène de La Traviata d’Olivier Py, il faut aller à l’Opéra de Malmö, troisième ville de Suède. Le Directeur du Festival d’Avignon met en scène la tragédie verdienne dans une interprétation qui tourne autour du rôle-titre, ici rousse et dévictimisée. Py place la tuberculose de Violetta (mais pas la domination patriarcale) au cœur du drame. D’emblée accompagnée par la Mort (incarnée et dansée par Carlos Garcia), elle choisit de quitter Alfredo non pas par respect pour sa famille, mais par la conscience de sa propre mort. Le visuel est teinté par le « Día de los muertos » (le Jour des morts), dont l’imagerie de crânes et squelettes témoigne de l’influence de la fête commémorative mexicaine sur les décors et les costumes de Pierre-André Weitz. Le dispositif scénique transformable permet de montrer les espaces simultanés évoqués par le livret, ainsi qu’un mouvement continu, renforcé par quelques danseurs (chorégraphie : Daniel Izzo). En parallèle aux valses verdiennes, de grandes roues lumineuses indiquent la localisation à Paris durant l’époque industrielle, où la tuberculose omniprésente se manifeste par des clichés radiographiques et par la gestique de Violetta dans une direction d’acteur précise et musicale.
Bien préparés et mis en mouvement, l’orchestre et les chœurs maison obéissent à la baguette de
Rafael Payare. La
direction musicale est conforme à l’action scénique et aux
émotions indiquées par le livret. Les atmosphères sonores
oscillent entre les festives musiques de danse, de grands bruits et
le caractère de drame parlé. La puissance des chœurs et de l’orchestre couvre cependant plus d'une fois les solistes – qui ne trouvent guère d'appui sonore sur les espaces ouverts du dispositif scénique. Malgré les efforts du chef pour s’adapter, voire suivre les solistes principaux
(notamment Germont père et fils) un décalage
regrettable persiste entre fosse et plateau, diminuant d'autant la fluidité musicale.
Rebecca Nelsen excelle en Violetta avec une interprétation vocale guidée par la variation des couleurs dans son instrument. Elle se sert de manière intelligente du caractère des différents registres vocaux convoqués dans la partition verdienne : la mort funeste des graves et les aigus de plus en plus scintillants, avec lesquels elle proclame le Credo du premier acte : « Sempre libera », avec même de petits détails inattendus qu’elle ajoute aux vocalises. Aussi convaincante dans sa sensualité corporelle que dans sa maladie, son véritable compagnon n'est pas l’Alfredo de Bülent Bezdüz, mais la Mort.
Celui-là, l'amant onirique et idéaliste se trouve souvent scéniquement et expressivement séparé de Violetta, son beau ténor lyrique et bien équilibré restant assez confiné dans une expression dynamique et théâtrale manquant constamment de relief. En compagnie de la sœur d’Alfredo (rôle muet), Davide Damiani incarne son père. Sa force autoritaire, plutôt que la légère élégance vouée à la persuasion, se conforme à l’interprétation du metteur en scène, mais gagne quelque peu en souplesse dans le piano de son haut registre. La soirée s’achève par les rôles secondaires avec les mémorables prestations des deux compatissants Annina (Ellika Ström) et Docteur Grenvil (Per Fernesten), munis de voix bien projetées et d’une expression engagée, ainsi que la Flora d’Emma Lyrén, entre l’amitié enjouée et le roulement des yeux, avec un mezzo aussi clair et proéminent que sa robe de gala.
Regrettable est l’indisposition de Patricia Petibon suite à la première, qui a marqué sa prise de rôle dans une production créée autour d’elle. Sa compréhension du personnage, comme exprimé dans le cadre d’une interview, réside dans les nombreux types de respiration que doit vivre Violetta au fil du drame, et il reste à espérer qu’elle guérira bientôt pour réaliser cet aspect du souffle et de l’air (à double sens), incontournable dans l’œuvre verdienne (et indiqué dans notre compte-rendu sur Rigoletto).