Stabat mater à Marcq-en-Barœul par l'Atelier Lyrique de Tourcoing : double hommage à Malgoire
Debout, la Mère des douleurs pleurait tout auprès de la croix où son fils agonisait ; et son âme qui gémissait, pleine de deuil et de tristesse, par le glaive fut percée…
Les deux opus -sur le même texte- ont été parfaitement choisis pour rendre un hommage au disparu. Ces œuvres sont en effet des testaments musicaux emplis de vitalité : Scarlatti compose son Stabat mater en 1724 (un an avant de mourir) et Pergolèse achève le sien seulement deux mois avant de s'éteindre en 1736, à l'âge de 26 ans. Le contenu accompagne en outre le deuil par l'espoir d'un Paradis, d'un hommage au Créateur. Enfin, les deux opus permettent d'apprécier l'empreinte de Jean-Claude Malgoire, décédé le 14 avril dernier mais dont l'ensemble instrumental a conservé l'éloquent héritage bien vivant. L'ombre du chef plane encore, comme s'il était présent pour diriger sa Grande Écurie, d'autant qu'il n'a pas été remplacé pour ces pièces : la phalange est menée par le premier violon depuis son pupitre.
De la première à la dernière note, la patte sonore et esthétique de Malgoire s'impose, rappelant la richesse du travail mené durant des décennies en quête d'une interprétation vivante et naturelle du répertoire ancien (prolongé jusque vers les opus contemporains). Le son déploie une belle imperfection, toute baroque (la légende veut que le terme "baroque" vienne du portugais pour définir une perle irrégulière). Le premier violon donne les élans précipités ou retardés que suit naturellement La Grande Écurie et la Chambre du Roy. Les archets sont parfaitement trop courts ou trop longs et trop obliques (amoindrissant le contact feulant), trop proches du chevalet ou de la touche (effilant les harmoniques ou la sonorité).
Les deux opus (notamment celui de Scarlatti) sont donnés dans une version étoffée à 18 instrumentistes, les pupitres de violons et d'alto accrus, les graves épaissis par trois violoncelles, contrebasse, le tout avec orgue. Cet instrument du continuo, très léger s'allège encore progressivement au point de ne pouvoir soutenir la baisse du diapason. "C'est bas, c'est bas" peste le premier violon silencieusement et en effet, l'accord tombe comme le Christ en croix vers le sépulcre mais pour mieux ressusciter avec la cadence finale et sa fameuse tierce Picarde (originaire de la région puisqu'elle symbolisait l'art franco-flamand : cette lumineuse tierce majeure rappelant la fin heureuse liturgique, la rédemption après tant de souffrances en mode mineur).
L'acoustique assez précise et à la faible réverbération permet d'apprécier la cohésion des lignes et des timbres. La signature sonore globale y bénéficie grandement des contrastes, entremêlant la déploration absolue (d'une mère debout aux pieds de son fils crucifié) mais inondée de lumière.
L'union des deux voix solistes sait s'appuyer sur ces caractères complémentaires (alternés ou joints en oxymores) et sur l'orchestre pour construire un échafaudage à l'image des lieux. Des quatre côtés de l'Église du Sacré-Cœur de Marcq‐en-Barœul de briques rouges et de bois, des duos de poutres pointent en chevrons vers le ciel, comme les voix dialoguant et se rejoignant sur les deux Stabat Mater.
La chanteuse et le chanteur expriment chacun la douleur et le réconfort. En duo, ils s'accordent pour accroître un son râpeux alors que leurs interventions solistes présentent leurs personnalités vocales. La soprano Maïlys de Villoutreys enchaîne les sons filés et droits mais croissant vers un vibrato articulé. La voix placée perce depuis une mâchoire serrée exprimant la douleur d'un chant fixe mais sachant s'animer par soufflets vers des phrasés vibrés : le réconfort. L'ensemble reste toutefois très classique de par la symétrie globale des effets comme des mouvements, un choix étonnant et parfois même contradictoire avec le texte (qui va jusqu'à décrire les coups de fouet).
Le contreténor Paul Figuier tient la partie d'alto, la tête à la fois haute et penchée, endolori par une certaine nervosité mais dont la combinaison avec l'allure noble rend l'oxymore de chaque Stabat Mater : de souffrance et de rédemption. La voix se rassure par de francs accents sur les consonnes et monte en douceur vers l'aigu, alors que les graves manquent d'appui.
Les deux artistes vocaux laissent le souvenir de belles prestations appliquées et d'un détachement de conteurs qui correspond certes à ces œuvres littéralement "édifiantes" (faites pour convaincre le fidèle en narrant l'évangile).
Ce concert sera repris à l'Abbaye de Vaucelles (commune de Les Rues-des-Vignes dans le Nord) le 12 avril prochain, deux jours avant le Théâtre des Champs-Élysées. D'autres occasions de faire rayonner l'héritage bien vivant de Jean-Claude Malgoire.