Les Siècles d'Or à Radio France
Ce concert est un mélange riche et divers, de styles et d'époques mais uni par un esprit commun, des gestes instrumentaux fusionnant l'Espagne baroque flamboyante et chansonnière contemporaine : le tout mis sur une même longueur d'onde à l'Auditorium de Radio France.
La soirée est à l'image de son œuvre maîtresse et centrale, composée par Mateo Flecha « El Viejo » ("le vieux" ou l'ancien : né en 1481) fameux vendeur de "salades" musicales (ensaladas) dont est présentée la plus célèbre d'entre elles : La bomba. La richesse des lignes mêlées est digne de Janequin avec des intermèdes en madrigaux annonçant déjà la naissance de l'Opéra, sans oublier les accents hispaniques populaires croisant le latin sacré !
Autour de cette salade, les ingrédients sont de prime fraîcheur, riches et savoureux. Ils rappellent la continuité du goût espagnol traversant les siècles, jusqu'à la figure contemporaine de Joan Manuel Serrat, né à Barcelone en 1943 dont Alarcón reconnaît lui-même qu'il est peu connu en France (ou plutôt des français car il a fait un Olympia récemment, preuve de sa célébrité parmi les hispaniques parisiens, comme en témoigne également ce concert durant lequel de nombreux spectateurs aux accents latins chantonnent les mélodies du programme). "El nano" (le gars, son affectueux surnom argentin est connu de l'Amérique latine comme de l'Espagne et notamment pour ses textes alternant catalan et castillan dans une volonté pacifiste œcuménique et passionnée).
Lucas Ruiz De Ribayaz est ainsi l'un de ses anciens modèles, unissant les continents dès l'ouverture du concert : compositeur du XVIIe siècle né à Burgos, parti faire carrière au Pérou pour revenir à Madrid. Juan José Cabanilles mort au début du XVIIIe siècle mais dont l'œuvre est restée au répertoire unit également les lieux, les époques ainsi que le divin avec le sacré par Mortales que amais (Mortels, vous qui aimez un Dieu immortel, Pleurez sa passion) : sa nostalgie solaire dans l'imploration divine est la même qui inspire les amours tristes des chansons contemporaines argentines (notamment celles de Serrat).
Une belle salade exige un bon accompagnement. Il se coagule autour de Quito Gato, qui signe les arrangements et transporte les virtuoses ornements hispaniques et baroques de la vihuela (cousin aragonais du luth renaissance), à la guitare, et même à l'archiluth tout en battant la mesure par les grelots attachés à sa cheville. La harpe espagnole de Marie Bournisien marie son picotement à celui des guitares (la seconde étant tenue par Monica Pustilnik), offrant un support aux tendres violons (Amandine Solano et Sue-Ying Koang). L'autre fil conducteur instrumental du concert, proposant contrechant et soutien est Rodrigo Calveyra à la flûte.
La salade du chef appartient ainsi à tout l'ensemble, Leonardo García Alarcón sachant (ne pas) diriger d'un simple regard, levé du menton, en chantonnant silencieusement du bout des lèvres avant de pianoter quelques interventions à l'orgue ou l'épinette (instrument appartenant par définition et lutherie à la famille des clavecins, mais qui est ici naturalisé hispanique par le jeu).
Pour accompagner épisodiquement deux sopranos incandescentes, un trio vocal masculin s'appuie sur sa pratique du répertoire baroque et sur la basse naturellement barytonnante ibérique Hugo Oliveira, l'alto Leandro Marziotte à la douce assise, tout comme les élans suaves. Valerio Contaldo offre même un portrait de ténor typique, ténébreux, le visage de biais, levé vers le lointain, le chant tonique et solaire pour Esta vez cupidillo (Cette fois, mon cher Cupidon) du catalan Francisco Valls (1671-1747).
Offrant une prononciation assurément argentine aux consonnes très mouillées, Maria Hinojosa, à la voix tremblante sous la note doit aller chercher les graves très bas mais sait les arrondir (jusqu'à toutefois les émousser) afin de remonter sur un son aquilin.
Mariana Flores offre une démonstration de l'intensité passionnelle latine, débordante de caractère mais contenue par la maîtrise de l'art (Ojos pues me desdeñáis, yeux qui m'ignorez du madrilène XVIIe José Marin). Inaudible dans le grave mais sachant en ressortir par la souplesse rythmique, accordée au tutti final composé par Joan Manuel Serrat : Mediterraneo par lequel la Cappella Mediterranea de Leonardo García Alarcón se devait de refermer ce voyage.