Marina Rebeka revêt avec classe et dignité les atours d’Anna Bolena à Bordeaux
Pour cette reprise de la production d’Anna Bolena de Donizetti signée par les soins de Marie-Louise Bischofberger, l’Opéra National de Bordeaux a choisi de faire appel à Marina Rebeka qui effectue ici sa prise de rôle. Cette belle cantatrice ajoute ainsi une pierre à un répertoire bel canto romantique déjà fort attractif. Saisissante par son engagement scénique et le portrait aux multiples facettes qu’elle livre d’Anna Bolena, entre épouse bafouée mais si fière du rang acquis, femme orgueilleuse et partagée dans ses choix de cœur, Marina Rebeka livre une prestation de haut vol. En dehors d’un médium qui pourrait être plus épanoui, plus italien dans l’âme, de graves encore trop sourds, elle déploie tout un arsenal belcantiste qui fait frissonner et une virtuosité rarement prise en défaut jusque dans les plus redoutables aigus. Elle aborde la scène finale de la folie avec une conviction profonde qui démontre ses affinités certaines avec ce rôle où la demi-mesure ne peut exister, la musique de Donizetti requérant l’absolu. Dans le cadre d’une mise en scène plus affirmée, il est certain que cette artiste pourra encore étoffer son incarnation et donner à son chant d’autres couleurs encore plus affirmées tout en le parant de variations plus subtiles.
Elle trouve dans la voix de mezzo-soprano riche et large d’Ekaterina Semenchuk une partenaire à sa dimension. Cette dernière, plus habituée aux rôles de mezzos verdiens comme Azucena ou Amneris, démontre qu’il lui est tout de même possible -tout en conservant ses formidables qualités dramatiques- d’aborder ce répertoire en allégeant un tant soit peu la ligne et en l’assouplissant surtout. Sa Giovanna Seymour n’est pas sans évoquer, avec autorité et véhémence, ses puissantes interprétations scéniques habituelles, le naturel revenant vite au galop. Ainsi le duo du début de l’acte II voyant l’affrontement des deux rivales se révèle-t-il proprement incandescent dans sa traduction.
Pour ses débuts européens, le jeune ténor originaire des îles Samoa, Pene Pati, fort attendu, ne déçoit certes pas. Un peu réservé à son entrée en scène, disposant d’une émission particulièrement haute, il développe ensuite une ligne de chant soignée, attentive, se basant sur un souffle presque inépuisable qui lui permet de tenir de très longues secondes des aigus et suraigus parfaitement placés, percutants à souhait.
En méforme évidente, la basse Dimitry Ivashchenko peine à incarner un Henry VIII de caractère : outre quelques écarts de justesse, la voix peine à se faire entendre dans l’écrin de l’Opéra de Bordeaux. Marion Lebègue incarne un touchant Smeaton, le page rival et malheureux, sans parvenir à s’épanouir vocalement dans ce rôle ambigu, poitrinant avec un peu d’excès. Dans le rôle bien trop bref du traître Sir Hervey, Kevin Amiel excelle, tout comme la basse Guilhem Worms (Lord Rochefort, frère d’Anne Boleyn) démontrant de belles qualités expressives qui restent à consolider. Peut-être loin de son répertoire de prédilection, la lecture de Paul Daniel à la tête de l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine, laisse sur sa faim. La pulsation donizettienne manque surtout à l’appel, laissant le soin aux interprètes d’enflammer la musique, de lui conférer ses magnifiques envolées lyriques.
La mise en scène de Marie-Louise Bischofberger (détaillée dans notre article sur cette Anna Bolena en Avignon) s’attarde en premier lieu à respecter la dramaturgie de l’ouvrage, non sans une part de réalisme et en mettant surtout en relief les rapports des deux principales protagonistes de l’ouvrage, Anna Bolena et Giovanna Seymour. Sans soulever l’enthousiasme, cette approche permet toutefois aux interprètes de trouver leurs propres marques et d'investir sans entrave leur personnage.