Festival Ré Majeure : Stanislas de Barbeyrac dans l’exaltant jardin de la mélodie française
Les artistes offrent cinq mélodies choisies de Duparc, les Cinq mélodies populaires grecques de Maurice Ravel, Les Nuits d’été de Berlioz, et les Banalités de Francis Poulenc, alternant sérieux, joyeux et même parodique.
Engagé dans une carrière internationale sur de grandes scènes lyriques, Stanislas de Barbeyrac poursuit avec ce programme un parcours dans le monde intime des mélodies (retrouvez notre précédent compte-rendu de son Lundi Musical à l’Athénée). Il y vient bien armé pour négocier ses subtilités : soutenu par les doigts féeriques d'Alphonse Cemin, le ténor glisse avec aisance d’une mélodie à l’autre. Il négocie admirablement les aigus en sotto voce (mi-voix, "sous la voix"), les decrescendi sur une longue note tenue, les notes couvertes (cupi) et ouvertes (aperti), mélanges aisés de voix de tête et de poitrine en multiples variantes de voix mixte.
Dans la première des mélodies de Duparc, L’Invitation au voyage, il surprend avec un decrescendo depuis un forte quasi héroïque jusqu’à une voix douce et fondante maîtrisée. Si la couleur de base de Stanislas de Barbeyrac est plutôt italienne, ensoleillée, ouverte, le ténor trouve dans Extase, une voix quasi fumée, tant elle est douce et couverte. Sur une longue note tenue, il descend au pianissimo en passant graduellement en voix de tête. Sérénade (sur un poème de Gabriel Marc) est le sommet d’émotion, avec son dernier vers : “t’aimer, te le dire ... et pleurer”.
Les mélodies grecques de Ravel, souvent chantées par un baryton, conviennent particulièrement au caractère héroïque et expansif de sa voix. De même que les textes satiriques des Banalités d’Apollinaire que Poulenc s’amuse à illustrer de ses meilleurs accents parodiques (avec de surcroît un texte sérieux, Sanglots, chanté doucement et sincèrement).
Les atouts techniques du ténor lui permettent enfin de négocier avec délicatesse Les Nuits d’été de Berlioz, dès la tessiture de la Villanelle (plus évidente pour un registre léger), afin de déployer par la suite la richesse dans les chansons plus graves du cycle, construisant de grands contrastes entre les phrases intimes et dramatiques.
Stanislas de Barbeyrac jouit d’une incontestable maîtrise de son instrument, un ton solide et resplendissant du haut en bas de la tessiture, de riches ressources pour modeler ses phrases. Toutefois, ayant remplacé l’artiste originalement programmée (Julie Fuchs), le chanteur a encore grand besoin de ses partitions : l’attention qu’il leur porte interdit un contact plus ouvert avec le public et avec l’esprit de la mélodie elle-même. Cet art qui appelle une approche profonde de la poésie, un engagement très personnel, quitte à prendre des risques. L’incarnation d’un texte habité, que Stanislas de Barbeyrac laisse entrevoir avec le bis “J’ai fait trois fois le tour du monde” des Cloches de Corneville, plus chaleureux, plus naturel dans la diction, et qui augure d’un interprète épanoui.
L’accompagnement d’Alphonse Cemin est tout en intelligence et sensibilité. Le pianiste, chef de chant (et directeur d’orchestre) démontre son travail sur la partition. Extrêmement attentif au chanteur, il sait respirer avec lui, rendant justice aux inflexions du texte et de la musique. Capable d’enthousiasme comme de bonhomie dans les mélodies dansantes et de style populaire, souvent pétillant, il est parfois coquin ou sardonique, mais également saisi de délicatesse, de grâce et de discrétion dans les mélodies émouvantes ou contemplatives. Avec un toucher quasi arachnéen, il joue parfois à la frontière du silence. Son attitude même respire la joie de soutenir et d’orienter le chanteur. Au moment du salut, Stanislas de Barbeyrac (tout comme le public) lui montre à l’évidence son admiration et sa reconnaissance.
Ce spectacle, par une soirée pluvieuse, vient dorer l’île de Ré d'une autre lumière : celle de la musique française !