Fraîcheur et esthétisme s'unissent aux Noces de Figaro en Avignon
Comme depuis un an dans la Cité des Papes, le spectacle se déroule dans la salle éphémère de l'Opéra Confluence (l'Opéra de la place de l'Horloge, en centre-ville, étant actuellement en rénovation). Sous une gigantesque structure boisée, cette salle provisoire renferme une scène de 470m² à laquelle Stephan Grögler donne vie avec science et habileté. Il faut dire que le metteur en scène franco-suisse-autrichien n'en est pas à ses premières Noces : à Nantes (2006), comme à Rouen (2010), il avait déjà pu exprimer sa vision toute personnelle de la première collaboration entre Mozart et da Ponte. Une vision qui est celle d'un mouvement incessant, où chaque action participe d'un dynamisme permanent dans le jeu des acteurs-chanteurs.
Dans ce qui constitue pour Mozart l'opera buffa de la maturité, il est autant question d'opposition de classes que de lutte des femmes pour leur droit à l'égalité (et à l'amour choisi). C'est dans un cadre classique, au sens historique, que Stephan Grögler choisit d'inscrire sa mise en scène. Ses décors, renouvelés pour chacun des quatre actes (au prix de longues manipulations techniques derrière le rideau baissé), laissent apparaître un environnement empli de majesté et de noblesse, au mobilier estampillé XVIIIe siècle (tout comme le sont les remarquables costumes de Véronique Seymat). Jouant avec les ombres comme avec les lumières, Stephan Grögler inscrit ses personnages dans un univers vivant et coloré, où le libertinage n'est jamais loin (des femmes légèrement vêtues traversant quelquefois la scène sont là pour le rappeler). Seules les apparences vestimentaires, habits de valets d'un côté et costumes avec jabots de l'autre, permettent de dessiner une hiérarchie sociale.
Le livret fait la part belle à la cocasserie, aussi, et le metteur en scène ne se prive pas de proposer quelques moments d'humour bien sentis, comme lorsque Chérubin puis Susanna se succèdent dans un cabinet réduit à une petite malle (jouant ainsi les contorsionnistes), ou lorsque le Comte en est réduit à se cacher dans des bidons, en fin d'ouvrage, pour épier l'intrigue qui se noue dans le jardin.
En Susanna, Norma Nahoun livre une performance réjouissante, exprimant un timbre expressif, coloré, et démontrant toute la pureté de sa ligne de chant. Le jeu est spontané et dynamique, souvent drôle (actes I et II), quelquefois touchant ("Deh Vieni non Tardar", au IV). En somme, Norma Nahoun est une Susanna pleine d'une authenticité et d'une fraîcheur qui donnent tout son sel au rôle de la camériste. Maria Miró est une Comtesse riche d'engagement et de sensibilité. Dans l'expression de l'affliction ("Porgi Amor") comme de la nostalgie ("Dove Sono"), la soprano catalane fait la démonstration d'une technique vocale aboutie, nantie d'un joli legato qui tisse une toile sonore aussi lumineuse que vibrante. Un manque de variétés dans les nuances (qui ne confinent souvent qu'au forte) n'amoindrit pas la belle prestation globale de celle qui effectue là ses débuts dans le rôle.
En Comte Almaviva, David Lagares en impose. Par la taille, déjà. Particulièrement grand, le baryton dégage une forte présence scénique, appuyée par une voix ombrageuse. Dans ses habits de noblesse, le chanteur espagnol se montre particulièrement à ses aises sur les graves, bien projetés et vibrants, quoique manquant par moments de profondeur. Par ses mouvements de jambes et de corps, par ses mimiques tantôt rageuses, tantôt amoureuses, David Lagares joue parfaitement son rôle, jusque son imploration au pardon dans la scène finale. Yoann Dubruque, lui, campe un Figaro non moins démonstratif dans chacune de ses actions, tant lorsqu'il convient de jouer la jalousie (“Se Vuol Ballare” à l'acte I) qu'au moment de séduire malicieusement une Susanna aux habits de Comtesse dans la scène finale du jardin. Le baryton français use d'une voix charmante, au timbre chaud (mais au vibrato parfois perfectible). Chacun de ses duos, avec le Comte comme avec Susanna, fonctionne parfaitement.
Le Chérubin de la mezzo-soprano Albane Carrère a la voix pleine de caractère et un jeu parfaitement équilibré, entre timidité excessive et élans amoureux pour le moins expressifs. La Barbarina de Sara Gouzy, à la voix pleine de fraîcheur et de clarté, parvient à captiver l'attention dans les rares instants où elle s'exprime, notamment lors de la magnifique cavatine qui ouvre l'acte IV (“L'ho perduta”), interprétée avec toute la justesse et la sensibilité requises. En Marcellina et en Don Basilio/Don Curzio, Jeanne-Marie Lévy et Éric Vignau apportent, en plus d'une belle présence vocale, tout ce qu'il faut de bouffonnerie et de drôlerie à leurs personnages, trouvant pleinement leurs places dans le sextuor de l'acte III (“Riconosci in questo amplesso...”). En Bartolo comme en Antonio, Yuri Kissin se fait aussi remarquer, notamment par un jeu de scène efficace.
À la tête de l'Orchestre Régional Avignon-Provence, le jeune chef Carlos Aragon parvient à donner l'impulsion et la vivacité nécessaires à la partition, dans la foulée d'une ouverture toutefois peu expressive dans la variété des nuances. La prestation du Chœur de l'Opéra Grand Avignon est également à saluer.