Le chant d'Orphée, une heureuse redécouverte des Correspondances
Le concert alterne entre l’un et l’autre, avec pour trame narrative principale les amours d’Orphée et d’Eurydice : les airs d’Henry Purcell introduisent et prolongent les deux brefs mais beaux actes de l’opéra La Descente d’Orphée aux Enfers de Marc-Antoine Charpentier, en faisant parfois écho (mais pas toujours) à cette même histoire.
Les instruments anciens de l’Ensemble Correspondances donnent au spectacle le charme certain d’un voyage musical dans le temps : violes, flûtes, clavecins et théorbe forment une pâte sonore douce, délicatement feutrée. Les mélodies de Marc-Antoine Charpentier ont des accents à la fois champêtres et raffinés, et la descente aux enfers ressemble par moments à un conte de fées. Sébastien Daucé dirige depuis son clavecin avec entrain, mais sans appuyer les sautillements des mélopées dansantes. Au sein du petit orchestre, les deux flûtes se démarquent en ce qu’elles insufflent une grande vivacité aux mélodies : elles chantent le désespoir des bergers après la mort d’Euridyce dans un tourbillon de trilles qui mime le jeu de gorge d’un oiseau. Elles reviennent roucouler notamment lorsque les fantômes entrent en scène, dans une mélodie cadencée où l’on croit entendre des troubadours en ordre de bataille. Le format réduit de l’orchestre ainsi que le son délicat des instruments permettent aux voix de s’épanouir.
Dix chanteurs sont ici présents, également répartis entre hommes et femmes. Dans le rôle d’Orphée, David Tricou s’illustre par son timbre de haute-contre : son chant est d’une grande agilité et son souffle très long. Très bon dans les passages de Marc-Antoine Charpentier, remarquable dans l’extrait final d’Henry Purcell (When Orpheus sang), le son de sa voix est cependant légèrement couvert. Élodie Fonnard campe une Eurydice dramatique : elle a une diction claire et donne aux notes une ampleur généreuse. Alors que le personnage disparaît du drame au premier acte, elle réapparaît en reine dans un extrait de Purcell (The Fairy Queen) où sa voix élastique et claire est portée par le chœur. Dans le rôle de Pluton, qu’Orphée devra convaincre de laisser Eurydice revenir au monde, Nicolas Brooymans se distingue par la gravité de sa voix qui rompt avec les sonorités principalement aigües des instruments et des chanteurs. Sa voix est chaude, malgré les profondeurs caverneuses où conduisent son timbre de basse et son chant joliment projeté. Il est aussi bon pour faire trembler les hardis héros qui s’aventurent aux Enfers que pour exprimer l’empathie de l’auditeur conquis par le chant d'Orphée. Parmi les autres chanteurs, on citera l'expressivité du chant de Renaud Bres et le timbre aérien de Danaé Monnié. Très présent tout du long, le chœur que forment les dix solistes est la vraie force du spectacle. La diversité des timbres produit un son riche que l’acoustique minérale de l’Auditorium du Louvre rend souvent solennel.
L’originalité de Marc-Antoine Charpentier est d’avoir réécrit le mythe d’Orphée avec une fin heureuse. Le public sort enchanté de cet original voyage au cours duquel le petit opéra est justement mis en valeur par la musique de son contemporain, Henry Purcell. Afin de poursuivre cette fertile concordance musicale et temporelle, les auditeurs peuvent aller écouter l'opéra Orphée et Eurydice composé par Gluck actuellement donné à l'Opéra Comique.