Otello enflamme l'Opéra de Massy
Rappelons-le, la production de Nadine Duffaut avait été créée à Marseille en 2013, puis adaptée pour les Chorégies en 2014. Dans le rôle d'Otello, se succédaient alors Vladimir Galouzine, l'Otello de référence de ces dernières décennies et Roberto Alagna qui endossait le rôle pour la première fois. Rien que ça. A Massy, c'est au ténor franco-italien Jean-Pierre Furlan qu'il a été demandé de se mettre dans la peau du Maure le plus jaloux de Chypre. Un rôle de maturité ô combien difficile que le chanteur nous avait confié avoir patiemment attendu. Car toute l'excellence d'Otello réside là, dans la psychologie si approfondie des personnages d'une intrigue qui n'a conservé que les situations fortes du drame shakespearien. De son « Esultate » gorgé de gloire à son « Niun mi tema », pic émotionnel vertigineux de la scène finale, en passant par son bouleversant « Dio ! mi potevi scagliar », Furlan nous entraîne avec véhémence dans le fracas de ses tourments intérieurs avec son timbre méditerranéen singulier et sa diction parfaite.
Face à lui, la jeune soprano Ludivine Gombert incarne une Desdemona dévouée et entièrement soumise. Si leur duo d'amour « Già nella notte densa » manque peut-être de complicité charnelle, c'est dans l'émulation de leurs confrontations que les deux chanteurs subliment l'émotion. L'agilité vocale et l'aisance scénique de l'ancienne choriste se déploient crescendo. Sa Chanson du Saule est habitée et poignante avec des aigus impeccables, tandis que son déchirant « Ave Maria » sonne avec une intense dévotion le glas de sa fin. Clé de voûte qui soutient toute l'intrigue écrite par Boito, Iago trouve son incarnation en Seng-Hyoun Ko, seul rescapé de la première distribution. Le baryton fait montre d'une incroyable aisance dans ce rôle qu'il a fait sien, bien qu'éloigné de ce que Verdi attendait. Si l'importance accordée au « mezza voce » apparaît diminuée, laissant la dimension dramatique du personnage parfois en surface, son « Credo in un Dio crudel » est sans appel, puissant et éclatant.
Du côté des seconds rôles, Christophe Berry et Marion Lebègue parviennent à tirer leur épingle du jeu. Le premier donne une formidable démonstration d'un Cassio ivre et manipulable à souhait, la seconde offre une Emilia de bonne facture. Jean-Marie Delpas qui a dû remplacer Jérôme Varnier au pied levé incarne quant à lui un honorable Lodovico. Dirigé par le chef italien Luciano Acocella, l'Orchestre national d'Île-de-France manie la partition de Verdi avec excellence en exaltant toutes ses nuances, de ses terribles furies orchestrales à son délicat raffinement. Sans oublier la belle et homogène performance que nous livrent les Cris de Paris. Rehaussé par les costumes de Katia Duflot, certes uniformes et bien convenus mais satinant les personnages d'élégance, la scénographie plutôt classique de Nadine Duffaut, nous permet, et c'est là tout son talent, de nous concentrer sur l'essentiel ici, des performances de chanteurs et d'acteurs saisissantes.
Otello, les 6 et 8 novembre 2015 à l'Opéra de Massy. Ent. de 75 à 82 €. 01 60 13 13 13.