Anne Sofie von Otter sans frontières à Verbier
Anne Sofie von Otter n'a jamais caché son éclectisme, qu'elle sert avec un égal engagement, sans discrimination entre les répertoires. L'album qu'elle a enregistré avec le quatuor à cordes Brooklyn Rider, So many things, en témoigne et, après de nombreux concerts outre-Atlantique, Verbier en offre la primeur aux mélomanes européens. Après une ouverture instrumentale, Federico II, extrait du Viaggio in Italia de Giovanni Sollima, la mezzo suédoise entonne Cant voi l'aube de Caroline Shaw avec un ineffable talent de diseuse, sur un délicat et évocateur lit de cordes. Entre deux pièces de Colin Jacobsen, l'un des violons du quatuor (For 60 cents et A mirror for a prince), elle donne vie à l'arrangement qu'Evan Ziporyn a réalisé d'un air du Doctor Atomic de John Adams, Am I in your light ? L'intensité expressive de la méditation amoureuse se trouve remarquablement calibrée par une voix sensible aux inflexions du texte. Dans l'acoustique de l'église, la projection sait ne pas s'exhiber au-delà des dimensions intimistes d'un récital s'appuyant sur des ressources de complicité avec l'auditoire.
Car les interprètes, et
au premier rang desquels la cantatrice scandinave, dévoilent tout au
fil du concert un instinct de la mise en scène habillé par un
humour subtil et communicatif. Interprétés à la suite d'un numéro
des Songs from liquid days de Glass, Freezing, et d'un
titre de Björk, Hunter, les chants traditionnels norvégien
et suédois voient Anne Sofie von Otter distribuer des rôles pour
faire comprendre les historiettes contées. Non contente de détailler
la musicalité d'une langue que peu de spectateurs présents
maîtrisent sans doute, elle s'attache à la colorer de son
inimitable feutre pour faire frissonner les émotions véhiculées
par les paroles, avec la simplicité du grand art. Les deux derniers
arrangements de la matinée confirment cette justesse de ton, qui
sait tirer parti de l'évolution de l'instrument. Avec Anne Sofie von
Otter, et les pupitres de Brooklyn Rider, les frontières entre
répertoire savant et production populaire cessent de devenir
étanches. Les murmures de Speak darkly, my angel d'Elvis
Costello, et plus encore le Pi de Kate Bush, qui s'enivre de
rêveries arithmétiques, affirment une poésie intelligente où
l'appoint du microphone ne sert pas tant à pallier la technique qu'à
favoriser un mode de jeu où affleure la confidence d'une voix
sciemment presque blanche. Cette indifférence aux frontières de
genre nous vaut un clin d’œil au fondateur du festival, Martin
Engström, également compatriote suédois, avec une reprise d'Abba,
Gimme, où les triolets des cordes rappellent étrangement
Beethoven – on sait combien le disco, et la pop en général, ont
pillé le fonds classique. Comme les musiciens, le public se délecte
de cette promenade défiant les étiquettes.