Anaïs Constans et Thibaut Garcia aux origines du chant andalou à Montpellier
Dans le cadre de ses concerts décentralisés, le Festival de Radio France Occitanie Montpellier accueille la soprano Anaïs Constans (Révélation lyrique des Victoires de la musique 2015) et le guitariste Thibaut Garcia sous la charpente boisée de la Chapelle Notre-Dame-de-la-Pitié, bel édifice du Moyen-âge situé dans le village de Beaulieu, à quelques kilomètres de la capitale héraultaise. Sur l'accompagnement régulier des grillons, les interprètes présentent un programme dédié au cante jondo (littéralement « chant profond »), vocalité andalouse traditionnelle par laquelle la voix chante du fond de la gorge, suscitant des sonorités gutturales (ce dont s'inspire par la suite le chant flamenco). Ce programme exclusivement espagnol (à la suite du récital de Marianne Crebassa et de Fazil Say consacré à la mélodie française et donné la veille) embarque l’auditoire pour un voyage du XIIIe au XXe siècle, à l’heure où des compositeurs (Lorca, de Falla) déclarent leur flamme à ce chant ancestral.
Du fond de la chapelle résonne a cappella l’hymne Rosa das rosas d’Alphonse X de Castille (1221–1284), la voix emplissant progressivement l’espace à mesure que la soprano s’avance sur le devant de la scène. Elle est bientôt rejointe par Thibaut Garcia pour deux duos renaissants (Triste estaba el Rey David d’Alonso Mudarra et Dame acogida en tu hato d’Esteban Daza). Ces trois pièces mettent en avant l’art du chant épanoui dont la chanteuse est une interprète sensible. Dotée d’un timbre soyeux et riche, elle s’élève sans peine vers des aigus limpides d’une clarté virginale, ondulant en de larges résonances. La diction, subtilement relevée de la « erre » ("r" roulé) et du « z » espagnol, est d’une heureuse clarté dans les médiums, moins perceptible dans les aigus où le son semble l'emporter sur le sens. À l’instrument, l’on retrouve des sonorités du luth avec des accords pleins et ses lignes contrapuntiques, dont Thibaut Garcia dessine les motifs avec équilibre et grâce.
Après le plain-chant renaissant, des chansons et mélodies espagnoles du XXe siècle. La variété de caractère des cycles d'airs populaires de Federico Garcia Lorca puis romantiques de Manuel de Falla permettent aux interprètes de déployer une technique aboutie avec comme toile de fond le folklore espagnol. La guitare de Thibaut Garcia se fait davantage percussive et virtuose, évocation du flamenco, alors que la voix se pose souveraine et d’un tempérament de feu, avec de rapides triolets incandescents, flammèches ô combien typiques du folklore musical espagnol. Investie sur scène, se détachant au possible de la partition, Anaïs Constans confère aux airs toute leur authenticité, la voix se teinte d’un entrain valsé (Los peregrinos), d’une douce mélancolie (Adela) ou d'une belle majesté (Las morillas de Jaén). Dans la cinquième Bachianas brasileiras de Villa-Lobos, elle montre des vocalises frémissantes et un sens de la respiration maîtrisé, enchaînant de longues lignes d’une lancée sans perdre le souffle. Légèrement moins à l’aise dans les médiums-graves que dans les aigus, la soprano se prête finalement peu aux sonorités gutturales du cante jondo (auquel rendent hommage les deux compositeurs), mais offre malgré tout des notes charnues et bien poitrinées qui donnent une belle amplitude et une richesse de timbre à sa voix.
Contraint de réaccorder son instrument entre chaque pièce à cause de la chaleur ambiante, Thibaut Garcia se montre malgré tout un accompagnateur plein de sang-froid, alliant une technique remarquable et une grande musicalité dans le jeu. Exploitant les possibilités expressives de son instrument d’une main experte, il brave les parties accompagnatrices mais virtuoses des chansons de Lorca et de Manuel de Falla, enchaînant déplacements arachnéens, accords rapides, harmoniques précises et bien détachées. Soliste pour le prélude Asturias (Albeniz) dont il propose une version originale (la partition, retranscrite par le guitariste Olivier Chassain, offre des accords plus larges que la version de référence de Tárrega, avec notamment des harmoniques dans la partie centrale), il se montre interprète inspiré, dont le sens de la nuance et des textures fait scintiller toutes les couleurs de cette pièce.
En bis, les interprètes offrent la Canzonetta spagnuola (1821) de Rossini dans laquelle, sur l’accompagnement ancré de la guitare (à deux temps, basse–accompagnement), la voix évolue progressivement d’un thème bien timbré et corsé dans les médiums à des vocalises rapides qu’elle dévore avec aisance. Une belle échappée ibérique portée par deux interprètes complices en un lieu unique !