Une Cendrillon bien chaussée au Touquet
S’avançant vers la brume de mer capricieuse déposée sur la ville du Touquet, le festivalier retrouve en début de soirée l’hôtel de ville à l’apparence d’un manoir (réminiscence du Château de Barbe-Bleue) et à l’intérieur Art deco où se tient la Cendrillon de Nicolas Isouard, opus composé en 1810 sur un livret de Charles-Guillaume Étienne (lui-même écrit à partir du conte de Charles Perrault) puis rapidement éclipsé par l’ouvrage éponyme de Rossini créé en 1817. L’effectif réduit de l’Ensemble Musica Nigella, interprète la transcription de la partie orchestrale écrite par le Directeur artistique du Festival et chef d’orchestre Takénori Nemoto. Chez les solistes, Claire Debono porte le rôle-titre, Mélanie Boisvert est Clorinde, Ainhoa Zuazua Rubira Tisbé, David Ghilardi Le Prince, Flannan Obé Dandini, Didier Henry Alidor et Jean-Fernand Setti Le Baron. L’interprétation de l’ouvrage est savoureuse et de qualité, les solistes impliqués et l’Ensemble délivrant avec énergie la partition de Nicolas Isouard.
Dans le rôle-titre, Claire Debono porte une Cendrillon écrasée sous le joug de son père et de ses deux sœurs, à la voix légèrement réservée (« Je suis modeste »). D’une candide légèreté dans le duo avec le Prince (« Simplicité et constance sont gravés dans nos cœurs ») avec des lignes legato bien dessinées (« À quoi bon la richesse »), elle ouvre ensuite sa voix sur des forte dramatiques et plaintifs en des aigus saillants. Le jeu, expressif dans le parlé, gagnerait toutefois en aisance dans le chanté par un plus grand détachement de la partition. Mélanie Boisvert et Ainhoa Zuazua Rubira campent les deux sœurs espiègles Clorinde et Tisbé avec beaucoup d’humour et de complicité. Maniérées à l’excès et surjouant leur personnage (dans l’expression de leurs caprices envers Cendrillon, de leur admiration envers celui qu’elles croient être le Prince et dans leur hypocrisie mutuelle), elles offrent de savoureux passages avec un jeu d’actrices convaincant. La première offre une voix très volubile, embrassant les vocalises jusqu’à forcer le trait pour provoquer un effet comique (« Je chanterai »). Très vibrée, presque chevrotante parfois, elle se déploie légère et bien portée. La seconde, à la voix également légère et souple (offrant des duos de voix limpides et cristallins) dispose de mediums veloutés et soyeux d’une belle puissance dans les forte. La figure paternelle du Baron s’incarne admirablement en Jean-François Setti, dont la taille imposante et la prestance sur scène suffisent à donner à sa parole une valeur d’autorité. La prosodie dans les passages parlés est agréable, dévoilant une belle voix de conteur qui se déploie ample et légèrement vibrée dans les parties chantées.
Autre figure d’autorité, le sage Alidor est campé par Didier Henry, dont le jeu comme les parties chantées forment la clef de voûte de l'intrigue. Apparaissant en premier lieu comme un mendiant (« La charité, s’il vous plaît ») puis dans la figure du sage, le baryton convainc par un remarquable jeu d’acteur, habité et tout en justesse, soutenu par une voix puissante à la sonorité noble et veloutée, offrant des notes d’une rondeur très agréable (« Mon fils, ô mon fils »). David Ghilardi porte un Prince candide et naïf, dont la simplicité d’esprit déteint sur un jeu qui manque d’assurance et d’authenticité. Assez discret dans les premiers passages chantés, le ténor offre par la suite plus de caractère dans la voix (« La victoire m’est promise »). Enfin, Flannan Obé campe le rôle de Dandini avec esprit, les intonations de voix comme les expressions du visage s’accordant en un personnage piquant à la voix charnue et bien timbrée.
L’arrangement de la partition réalisée par le chef d’orchestre offre toute la chair de l’ouvrage dans un effectif plus intime, ainsi que la qualité du rendu sonore délivrée par des mains expertes aux lignes précises et complices. Donné en version concert, l’ouvrage sera prochainement porté sur scène au Teatru Manoel de Malte dans une mise en scène de Jean-Philippe Desrousseaux avec la même distribution, accompagnée de l’Ensemble Musica Nigella sous la direction de Takénori Némoto. Événement incroyable : cette œuvre rarement jouée sera également donnée à Saint-Étienne en mai 2019 !