Festival Bru Zane aux Bouffes du Nord : Gounod Gothique
Les œuvres de Charles Gounod sont marquées par la voix, avec ses opéras et un important corpus religieux qui tient une place particulièrement importante dès son séjour à la Villa Médicis de Rome. Il fut impressionné par les Chœurs de la Chapelle Sixtine, alors qu’il n’était qu’un tout jeune musicien d’à peine 20 ans. C’est à Vienne qu’il écrivit sur commande, à son retour de Rome, sa première messe. Organiste, Maître de Chapelle, il songea même à rentrer dans les Ordres. Troublé par les idées de la Révolution de 1848, il considéra alors que la religion n’était plus son unique guide. Mais il ne renonça pas à sa Foi et continua à composer jusqu’à la fin de sa vie des œuvres religieuses, en nombre important. Elles présentent une grande sobriété dans l’écriture chorale, évitant tout effet théâtral, témoignant d’une sincérité émouvante.
À l’instar de Violet le Duc à la même époque qui restaure les architectures gothiques des cathédrales et églises françaises, Gounod se passionne pour les transcriptions des grands maîtres du passé : Palestrina, Bach, Haendel et même Mozart.
On aurait pu s’attendre à ce qu’un tel répertoire soit donné dans une église. Le lieu choisi ici, un théâtre, peut, au premier abord être déroutant. Mais le Théâtre des Bouffes du Nord est un théâtre d’atmosphère. Une salle à l’ancienne, circulaire, une scène de plain-pied, très centrale, des murs lépreux, que l’on peut voir, à son goût, délabrés ou antiques, ses colonnes, une coupole au plafond font songer à un décor composé de plusieurs influences architecturales anciennes. Une atmosphère qui se prête particulièrement bien au thème de ce concert. Seule l’acoustique un peu sèche (excellente pour le théâtre car idéale pour la compréhension du texte), manque cependant d’un peu de réverbération pour donner l'impression d'être dans une église.
Le concert débute par un grave prélude improvisé par le talentueux organiste François Saint-Yves et plonge immédiatement l'assistance dans l’ambiance mystique requise. Le Chœur de la radio flamande, disposé en cercle autour de son chef Hervé Niquet entame le premier chant, une adaptation par Gounod d’une œuvre de Palestrina (1525-1594) datée de 1584 illustrant à merveille l’influence du Concile de Trente sur le culte catholique, notamment la simplification des mélodies par la suppression de bon nombre de mélismes décoratifs.
Le ton de ce concert est donné. Influencée fortement par l’esthétique de Palestrina, la musique de Gounod dégage une grande sérénité, redonne son sens véritable au message de la Foi et bannit les effets musicaux superficiels. « Il est temps de proscrire dans nos églises toutes les guimauves de la romance et toutes les sucreries de piété qui ont trop longtemps gâté nos estomacs » s’insurgeait Gounod. Ainsi, pas d’accompagnement orchestral, seulement un orgue pour soutenir les voix et étoffer les couleurs vocales, une écriture chorale parfaitement maîtrisée, un chant polyphonique aux lignes mélodiques pleines de ferveur, une musique épurée des inflexions italiennes ou allemandes qui permet de revenir à l’essence même de la musique religieuse.
La Messe vocale qui s’ensuit fut écrite par Gounod en 1843 à son retour de la villa Médicis, jamais publiée, ni reproposée après sa première exécution. Complétée de chorals à la manière de Bach, cette œuvre n’est cependant pas un pastiche.
Selon un programme conçu par le Palazzetto Bru Zane, producteur de ce Festival Gounod (qui a vu triompher la redécouverte de La Nonne sanglante à l'Opéra Comique le week-end dernier) et grand spécialiste de la musique romantique française, cette messe est entrecoupée d’improvisations à l’orgue et autres adaptations de musique sacrée. Les 24 chanteurs, debout comme des stèles, simplement éclairés par la lumière de leur pupitre, entonnent tout d’abord un prélude écrit dans le style d’un choral de Bach (commun à toutes les sections de la messe) avant de se lancer dans l’interprétation des différentes parties de la messe ordinaire ; Kyrie-Gloria-Credo–Sanctus–Benedictus. La parenthèse Mozartienne avec l’Ave verum corpus n’est pas choisie au hasard, dans sa lente progression exaltante, elle mène à l’Agnus Dei final de cette messe, avant de conclure par un Hosannah, transcription d’une œuvre de J.S.Bach, expression parfaite de la joie.
Le concert se poursuit par Les Sept Paroles de Notre Seigneur Jésus Christ sur la Croix. Elles s’inscrivent elles aussi dans une vision néo-palestrinienne de la musique sacrée mais cette œuvre plus tardive aux accents plus funèbres confirme le mysticisme fervent et passionné du compositeur. Gounod réalisa lui-même son livret, élaborant un récit elliptique des dernières heures de la Passion du Christ. Écrite pour chœur à cappella, la partition datée de 1855 présente là aussi une très grande maîtrise de l’écriture : sections harmoniques verticales alternant avec des sections contrapuntiques, peu de figuralismes mais quelques mots très significatifs mis en relief, comme le fortissimo sur le mot Crucifixus, les couleurs presque baroques, légèrement dissonantes teintées de touches harmoniques plus contemporaines sur le mot tenebrae répété plusieurs fois. L’œuvre présente cependant un grand équilibre dans la polyphonie, qui prime sur l’illustration.
Engagés, le chœur et son chef parviennent à réaliser toutes les intentions des partitions. Les indications de tempo et de dynamique sont respectées afin de ne pas interpréter cette musique à la façon de Palestrina mais bien comme l’a écrite et la voulait Gounod.
Le chœur est impressionnant par sa diction impeccable, des pupitres d’une grande homogénéité capables de nuancer du plus doux au plus fort. Les timbres des voix se marient à la perfection, les écritures fuguées sont parfaitement maîtrisées. Tout est précis : les départs, les intentions expressives, les rythmes, les cadences finales.
Hervé Niquet a la volonté de faire vivre chacune des phrases de ses œuvres avec ardeur. La ligne directrice est claire et le chœur y adhère pleinement. Sa direction est efficace, avec des gestes larges, même si elle n’est pas très harmonieuse visuellement.
Le public peu nombreux mais constitué en partie de fidèles admirateurs d’Hervé Niquet accueille avec enthousiasme l’originalité de ce concert.