Une Grande Messe des Morts glorifiée par Mikko Franck
Ouvrage emblématique d’Hector Berlioz, Le Requiem ou Grande Messe des Morts opus 5 résulte d’une commande d’État début 1837 destinée à célébrer à la fois l’anniversaire de la Révolution de 1830 et la mémoire du maréchal Mortier, mort au cours du terrible attentat de Fieschi dirigé contre le Roi Louis-Philippe. Quoique fort occupé par la composition de son opéra Benvenuto Cellini (revenu à Bastille le mois dernier), Berlioz s’enthousiasme pour le projet qui lui permet d’aborder un thème qui le fascine, celui de la fin du monde. Le Requiem est finalement créé en l’Église Saint-Louis des Invalides le 5 décembre 1837 avec en soliste pour le Sanctus, le futur créateur de Cellini, le ténor Gilbert Duprez. Dix numéros issus de la liturgie composent cette Grande Messe des Morts au sein de laquelle le chœur notamment occupe une place prépondérante et centrale. Présent à la création, Alfred de Vigny laissera un témoignage précieux : « La musique était belle et bizarre, convulsive et douloureuse ». C’est très exactement l’impression ressentie lors de ce superbe concert donné à la Philharmonie de Paris avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France au grand complet, placé sous la baguette plus qu’inspirée de Mikko Franck. Comment ne pas être surpris par les composantes exceptionnelles de l’orchestre avec ses dix timbaliers, ses huit cors, et la démultiplication des autres cuivres placés en fond de parterre derrière les spectateurs. Le Dies Irae et le Rex tremendae, second morceau du Requiem, fait véritablement trembler la salle de concert et renverse l’auditeur alors totalement enveloppé -et non submergé-, par cette avalanche sonore. Mikko Franck -toujours aussi attentif à sa gestique, dirigeant depuis l’estrade ou assis à proximité immédiate-, maîtrise avec un esprit presque métronomique la partition titanesque en lui insufflant une vision presque prophétique, pleine d’une émotion sincère, osant par ailleurs l’abandon et l’expressivité la plus ténue, voire le recueillement.
Il est vrai que les deux chœurs présents, celui de Radio France préparé par Nicolas Fink, et le WDR Rundfunkchor, dirigé par Robert Blank, ne font plus qu’un au service de la musique de Berlioz. Que ce soit dans les parties puissamment dramatiques, comme le Dies Irae ou le Lacrymosa, ou le Quaerens me chanté a cappella dans une unité totale, le chœur ainsi constitué atteint à l’absolu. Sans dévaluer bien au contraire, le pupitre des femmes, il faut convenir que le pupitre des hommes, notamment celui des ténors, excelle !
La petite déception vient de la défection de Michael Spyres, qui souffrant, a cédé la place de ténor solo au jeune chanteur américain, John Irvin, encore peu connu en France même s’il vient de se produire en mars dernier avec l’Ensemble Pygmalion et Raphaël Pichon dans le Requiem de Mozart et La Passion selon Saint Jean de Bach. C’est d’ailleurs avec la Grande Messe des Morts de Berlioz que le jeune artiste a fait ses débuts en Europe en 2016 avec l’Orchestre Symphonique de Bochum. Il sera Faust de la Damnation à l’Opéra de Nice la saison prochaine. Sa voix de ténor lyrique passe aisément dans la salle, avec un aigu de qualité, lumineux et un timbre fort attachant. Mais, peut-être intimidé par ce remplacement de dernière minute et par l’immensité de la salle Pierre Boulez, il manque de cette ferveur, de cette sacralisation qui sous-tendent le divin Sanctus. Il est vrai aussi qu’il se trouvait placé de côté, et non au centre, comme à l’habitude.
Le Festival de Saint-Denis a programmé dans le cadre de la célébration de son 50ème anniversaire, les 4 et 5 juillet prochain, ce même Requiem de Berlioz sous la direction musicale de Valery Gergiev à la tête de l’Orchestre National de France : un autre chef majeur qui donnera très certainement à l’œuvre une dimension différente, mais tout aussi exaltante que celle de Mikko Franck.
Mikko Franck et l'Orchestre philharmonique de Radio France interprètent la "Petite symphonie pour vents" de Gounod et l'ouverture de "Béatrice et Bénédict" de Berlioz. Concert enregistré le 27 janvier 2018 à la Maison de la Radio, Paris.