Récital Adriana Gonzalez : l'Amphithéâtre, avant Bastille
C'est avec une timidité touchante qu'elle entre sur la piste de l'Amphithéâtre. "Oh la la !" plaisante-t-elle avec humilité devant le public nombreux, avant de remercier l'institution de lui offrir cette opportunité. Elle saura s'en montrer à la hauteur et bien davantage, mettant cette délicatesse au service d'une interprétation douce et naturelle, renforcée par sa voix complète, riche en soutien depuis l'aigu, puissant jusqu'au grave ambré caressant la voix de poitrine, aux larges harmoniques graves presque tubées et aiguës presque acérées. Toujours amplement projetée et portée, la voix balaye aussi le spectre des nuances et des effets (d'un piano sostenuto jusqu'au volume charpenté emplissant l'Amphithéâtre).
Le programme impressionne dès le début : il s'ouvre avec les mélodies de Duparc, qui sont de micro-opéras (plutôt wagnériens) de quelques minutes, très exigeants en terme de puissance, avec des conclusions tout aussi exigeantes en douceur mélancolique (la voix y redevient droite pour vibrer de nouveau naturellement).
Son accompagnateur Thibaud Epp suit également une formation de chef de chant, comme ses camarades pianistes de l'Académie et il offre en effet un support délicat sur les élégies italiennes, un naturel réconfortant jusque dans les arpèges rapides ou les rythmes francs. La chanteuse peut ainsi mettre ses moyens au service du propos des poésies.
Étonnamment, alors que la langue italienne semble a priori bien davantage aisée pour le bel canto et une interprète hispanophone, Gonzalez rencontre des difficultés dans la prosodie transalpine. Le choix des morceaux est certes particulier puisqu'il s'agit des 4 Canzonas en italien composées par Schubert, le maître du Lied allemand. La chanteuse dispose certes du souffle pour assumer sa surarticulation, mais l'élan se perd dans ce tempo lent.
À l'inverse et bien entendu, l'Espagne la retrouve ensuite dans son royaume, d'abord avec Trois mélodies en français de l'ibérique Manuel de Falla, parcourant avec un délicieux exotisme effronté Les colombes, Chinoiserie et une Séguidille qui s'achève sur un claquement de talon, un aigu puissant et de sonores applaudissements.
Le Trio n°2 de Joaquin Turina par des instrumentistes de l'Académie offre alors un bel interlude. Les deux cordes ont encore quelques écarts de justesse et le piano se décale parfois, mais les instrumentistes n'en charment pas moins par leur enthousiasme, leur qualité d'écoute sur les mouvements parallèles entre violon et violoncelle, toujours en harmonie avec le piano, comme les mouvements élégiaques ou les exotismes pizzicato. D'enthousiasme, le public en oublie de ne pas applaudir entre les mouvements, alors qu'il garde un silence tout aussi admiratif pour la chanteuse, entre les mélodies d'un même compositeur. Qu'il sera difficile, pourtant, de contenir son enthousiasme durant La Maja Dolorosa d’Enrique Granados et les Canciones Clásicas Españolas de Fernando Obradors. Muerte cruel rappelle d'emblée le ton tragique et l'étendue des moyens, descendant, dans une première phrase de tragédienne lyrique, d'un aigu puissant vers un grave caverneux. La chanteuse sait se tourner et se lover dans le creux du piano à queue, s'y adosser en étendant les mains, s'en éloigner pour aller vers le public, déployant la jalousie, le deuil, l'envoûtement des amours andalouses.
En bis, Adriana Gonzalez offre un morceau qu'elle a découvert à l'Université de son pays, au Guatemala : une immense vocalise qui balaye une nouvelle fois toutes ses qualités et son ambitus avec un souffle qui devrait la porter très prochainement sur la grande scène de cette Bastille (en octobre dans l'Elixir d'Amour).
Thank you Paris! ♥️ pic.twitter.com/qjMhsINUH2
— Adriana Gonzalez (@AdrianaTGG) 13 avril 2018