Ariodante de Haendel flamboie à la Philharmonie de Paris sous la baguette assurée de William Christie
William Christie vient de diriger à l’Opéra de Vienne une nouvelle production scénique d’Ariodante de Haendel dans une mise en scène de David McVicar, avec Sarah Connolly, référence dans le rôle-titre, et les mêmes interprètes qu’à Paris pour l’ensemble des autres personnages. En compagnie de son ensemble Les Arts Florissants, il avait choisi de faire étape dans la grande salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris le temps d’une soirée, avant de poursuivre une tournée en Espagne avec l’ouvrage, Kate Lindsey s’emparant alors du rôle principal. Ne pouvant importer la production viennoise, le concert a été fort habilement mis en espace, procurant ainsi au public une juste dimension théâtrale qui souvent fait défaut en version de concert notamment s’agissant du répertoire baroque.
L’ouvrage en lui-même fait l’objet d’une présentation et d’une analyse très complète sur le site Ôlyrix. Créé à Londres en janvier 1735, Ariodante, opéra seria en trois actes, se singularise par la relative simplicité de l’histoire et par la tenue du livret d’Antonio Salvi. Les personnages féminins -Ginevra et sa suivante Dalinda-, apparaissent tout particulièrement attachants. Mais c’est bien le personnage d’Ariodante lui-même, rôle créé par le castrat soprano Giovanni Carestini et dévolu ici à une mezzo-soprano, qui mobilise une grande partie de l’attention. Surtout lorsqu’une interprète de la classe de la cantatrice Kate Lindsey s’y attache. Au sein d’une distribution proprement magnifique, Kate Lindsey, sans posséder une voix très large, triomphe de toutes les difficultés accumulées par le compositeur. La ligne de chant est souveraine, la vocalise chaleureuse et précise, le timbre ambré et profond, l’investissement expressif total. L’air le plus fameux de la partition lui est dévolu au milieu du deuxième acte « Scherza infida », lorsque Ariodante est persuadé de la trahison amoureuse de Ginevra et qu’il exprime une douleur profonde. Le public subjugué par son interprétation toute de retenue et s’inscrivant dans une sorte de halo ou de suspension dans le temps et l’espace, lui réservera une ovation amplement méritée.
En Ginevra, la belle soprano Chen Reiss fait valoir des moyens assez importants reposant sur une voix riche et colorée aux aigus parfaits. Sans démériter, Hila Fahima donne un portait juste et sensible de Dalinda, vocalement moins affirmé peut-être, mais fort attachant. Elle chante habituellement les coloratures comme la Reine de la Nuit et le suraigu s’envole sans aucune difficulté. Le contre-ténor Christophe Dumaux s’avère proprement irrésistible dans le rôle du méchant, le traître Polinesso qu’il incarne scéniquement avec un plaisir certain. En magnifique forme, il investit avec aplomb les airs redoutables qui lui sont réservés, démontrant un ambitus vocal imposant et un aigu plein et d’une sûreté absolue. Le ténor Rainer Trost déploie des moyens solides et fort souples dans le rôle du courageux Lurcanio, amoureux transi de Dalinda. Et Wilhelm Schwinghammer fait sonner sa large voix de basse, aux graves profonds, dans le rôle du père de Ginevra, le Roi d’Écosse, tandis que son second, Odoardo, le ténor Anthony Gregory, possède tous les atouts attendus pour remplir avec une totale efficacité ce rôle plus secondaire.
La complicité spécifique de William Christie avec la musique de Haendel n’est certes plus à affirmer. À la tête des Arts Florissants, il le démontre une nouvelle fois, offrant un écrin idéal à ses chanteurs pour qu’ils puissent totalement s’épanouir et transmettre leurs émotions et leur sincérité au public. Ce dernier, à en croire par la joie et les longs applaudissements exprimés à l’issue du concert, a particulièrement bien reçu le message.