L'Instant lyrique, sentimental et jazzy d'Elsa Dreisig à l'Éléphant Paname
Le concert entremêle alternativement : jazz, chansons populaires, mélodies et grands airs lyriques. Autant de répertoires dans lesquels Elsa Dreisig transporte ses grandes qualités de diva d'opéra. Les morceaux jazz n'ont donc pas de swing ni de soul, mais les qualités d'une voix lyrique, déployée et vibrée. Certains effets classiques font merveille dans les douces mélodies jazzy (surtout le contrôle absolu du diminuendo langoureux, emprunté aux mélodies de Claude Debussy). D'autres effets jazz sont au contraire antinomiques avec la technique vocale d'opéra et ne peuvent pas fonctionner ici (notamment le growl, qui demande de serrer la gorge et de "salir" une voix, que Dreisig a pure). Notons enfin que ce répertoire est en anglais, une langue qu'Elsa Dreisig est loin de maîtriser aussi bien que le français et l'allemand des mélodies lyriques (même si l'autre langue du répertoire classique, le russe, doit être énormément amélioré si la chanteuse envisage un rôle slave).
La bascule entre le répertoire jazz et classique, entre la technique de cabaret et la voix lyrique s'opère d'un morceau à l'autre (parfois même en cours de phrase). Cette métamorphose vocale surprend bien avant de satisfaire, Elsa Dreisig pouvant enfin déployer avec Richard Strauss, Alban Berg et même Richard Wagner sa grande musicalité, son souffle long, ses triomphants aigus solaires, un vibrato à l'image de son chant, doux et intense, assis et déployé. Certaines transitions fonctionnent pourtant fort bien : chaque fois que les œuvres choisies ont justement été conçues pour offrir des couleurs populaires à de grandes scènes lyriques ou à de grandes cantatrices (Porgy and Bess de George Gershwin, Folk Songs de Berio et même Calling you du film Bagdad Café).
Les mélodies sont entrecoupées par de petites saynètes romantico-poétiques. Le jeune acteur Lorenzo Lefebvre (aperçu dans le film Bang Gang et la série Engrenages) y joue le rôle d'un amant amoureux candide et passionné. Il vient respirer amoureusement la chevelure de la chanteuse et garde longtemps le nez dans son scalp blond, pour mieux réciter un texte qui parle justement de chevelure, avant qu'Elsa Dreisig n'interprète justement La Chevelure de Claude Debussy. Les deux jeunes tourtereaux batifolent, dansent et roucoulent.
L'ensemble du programme, intermèdes compris est accompagné au piano par Karolos Zouganelis, d'une belle délicatesse, subtile justesse et douceur dans les sons voilés (convoquant les trois pédales du piano : sourdine, résonance et corde unique). Ses qualités rendent d'autant plus regrettable qu'il s'impose un défi démesuré (interpréter les Grandes Études de Paganini, virtuose du violon dans l'arrangement de Franz Liszt, virtuose du piano) ou tout simplement impossible (le piano ne pouvant physiquement pas interpréter des intervalles ni des frottements aussi fins que le violon sur les Folk Songs).
Tout cela étant, et à l'image des mélodies lyriques qui balayent toutes les réserves sur le reste du répertoire, le bis offert par Elsa Dreisig soulève un émerveillement sans réserve. Chantant "Je t'aime" (Jeg elsker dig), mélodie en danois de Grieg qui ressemble tant au "Je t'aime" (Ya lyublyu tebya) du personnage Lenski dans Eugène Onéguine, elle devient le pendant féminin du personnage russe de Pouchkine et Tchaikovski.