Orphée s’incarne en Frédéric Antoun à Toulouse
Ouvrage fondamental pour l’histoire même de l’opéra et précurseur de nombreuses évolutions dramatiques et musicales ultérieures, Orphée et Eurydice de Christoph Willibald Gluck surprend encore par sa concision et sa puissante originalité. La version choisie par Christophe Rousset est celle remaniée pour Paris en trois actes de 1774, pour ténor haute-contre dans le rôle-titre, créée par la grande vedette de l’Académie royale de musique de l’époque, Joseph Legros et magnifique interprète de la musique de Gluck (Alceste, les deux Iphigénie et Armide). Donnée en version de concert, elle comporte la grande suite de ballets qui vient clore le troisième acte, juste après le merveilleux trio final Orphée/Eurydice/L’amour « Tendre Amour que tes chaînes ». Afin d’être en meilleure concordance avec le temps de la création et le répertoire baroque, le diapason a été abaissé à 400 hertz. De fait, le brillant attendu s’estompe quelque peu, même si le rôle d’Orphée demeure toujours aussi périlleux et exigeant tant au plan vocal qu’au plan psychologique.
Frédéric Antoun, dès son premier appel à Eurydice, sa tendre épouse disparue, bouleverse, étreint. Sa belle voix de ténor au timbre presque sombre a, avec le temps, gagné en largeur et en expressivité. Elle s’élève sans aucune difficulté, captivante, et n’estompe à aucun moment les envolées vers l’aigu ou le sens de la vocalise. Frédéric Antoun donne à entendre une interprétation parfaite de l’air fameux, pivot de la partition, « J’ai perdu mon Eurydice » avec un soutien du souffle infaillible. Il sait alléger son émission notamment au début du deuxième acte, mais le côté élégiaque -il s’agit d’une prise de rôle-, pourrait être encore mieux exploité.
À ses côtés, la soprano Judith van Wanroij fait malheureusement pâle figure en Eurydice. Est-ce justement le diapason adopté ? La voix peine à passer la rampe et à se parer de couleurs. Dans les duos, voire même le trio final, elle semble comme disparaître du cadre. Jodie Devos apparaît quant à elle comme l’incarnation même de l’Amour, avec sa voix fraîche, précise, toute de candeur incarnée.
Préparé avec un soin extrême par son chef Alfonso Caiani, le Chœur du Capitole fait une fois encore montre de sa cohérence et d’un investissement vocal qui répond pleinement aux difficultés de la partition. Il demeure, avec Frédéric Antoun, l’élément décisif du succès de la soirée. Christophe Rousset avait déjà dirigé Orphée et Eurydice, mais il s’agissait en fait d’une première pour son orchestre Les Talens Lyriques. La fougue est présente certes, mais comme un peu sèche, manquant de luminosité, de sentimentalité, du frémissement d’un ouvrage constamment à fleur de peau. Manque de familiarité certainement et un temps de répétition un peu court pour un Ensemble et un chef dont les qualités ne sont plus à démonter.
C’est dans un autre répertoire, bien moins fréquenté jusqu’alors, qu’il sera possible de les réentendre au Théâtre des Champs-Élysées le 14 juin prochain dans la version originale du Faust de Charles Gounod (réservations) dans le cadre du 6ème Festival Palazzetto Bru Zane à Paris. Une redécouverte fort attendue !