Don Giovanni d'Haneke séduit pour la dernière fois l'Opéra Bastille
Alors que l'Opéra de Paris souffre d'une rentrée chahutée par les recommandations du syndicat FSU et l'annulation de ses premières, Don Giovanni s'offre aux spectateurs. Et pas qu'un peu. Haneke se glisse dans la peau des personnages pour saisir leurs émotions les plus primaires et mieux déchirer leur enveloppe corporelle d'humains perfectibles. En haut d'une tour aseptisée aux banquettes en skaï capitonnées, aux ascenseurs silencieux, à la baie vitrée contemplant de milliers d'autres huis clos nocturnes, se love l'intrigue du séducteur mythique.
Ici, le besoin vital et insatiable de la chair laisse place à la conquête sans fin de la domination. Glacial et infiniment lisse, le cœur de Don Giovanni enclôt toute l'intrigue et se présente là devant nous. Dans cette unité de temps -l'espace d'une nuit-, et de lieu -cet étage lambda de building dont la sinuosité rythme les entrées et sorties des personnages- se déroule un drame dont l'aspect quotidien se teinte d'un cynisme servi bien cru. Le puissant en costard Don Giovanni assujettit la moindre femme de ménage aux jambes nues et juvéniles, tandis que les femmes aux manteaux longs et aux jupes fermes souffrent tantôt à la verticale, tantôt à l'horizontale de leur passion névrosée.
Scène finale, le jour se lève et plonge sur la verrière (janvier 2015) © C. Pele - OnP
Les techniciens de surface que sont Zerlina et Masetto sont d'abord soumis tête baissée et échine courbée : avec une envie latente et complice pour Zerlina et un sentiment d'injustice réprimé pour Masetto. Ils deviennent ensuite acteur de la mise à mort de Giovanni. Dans ce monde sans foi ni loi des affaires, le divin et la compassion n'existent pas. La statue du commandeur n'est plus et c'est bien à Donna Anna, aidée de son prétendant de toujours, Don Ottavio, que l'honneur revient de mettre Don Giovanni en face de ses crimes.
Alors que celui-ci avait déjà exprimé, noyé par l'alcool et son mal être viscéral, ses envies suicidaires en voulant se jeter dans le vide, l'ensemble des protagonistes, employés de l'immeuble, anciennes amantes bafouées et autres amoureux se liguent dans sa chute. Dans cette inversion des rôles, les victimes deviennent bourreaux et ce, avec une jouissance cinglante, non feinte bien-sûr.
Maria Bengtsson (Donna Anna) et Matthew Polenzani (Don Ottavio) © C. Pele - OnP
Entièrement renouvelée, la distribution offre à l'oeuvre de Mozart et au dessein d'Haneke l'incandescence de l'émotion. La magistrale Zerlina de Nabine Sierra est joueuse, faussement naïve et terriblement convaincante. Difficile de passer derrière Mireille Delunsch tant le rôle aura été empreint de sa performanc. Pourtant, lorsque la Donna Elvira de Karine Deshayes entre en scène, elle semble envahir l'espace tant par sa voix que par sa névrose maladive.
Le personnage de Donna Anna de Maria Bengtsson se développe au gré de l'action. Émouvante dans l'acte I, elle enveloppe la salle de son chant aérien et fragile ; électrisante, elle pétrifie l'auditoire dans l'acte II. Le paroxysme dramatique est atteint lorsque, ventre à terre, la soprano suédoise rejette l'amour de Don Ottavio avec « Non mi dir, bel'idol mio » et extirpe avec violence un long et douloureux sanglot de sa poitrine. Ce rôle, Maria Bengtsson l'a fait sien après l'avoir endossé à la Fenice, au Bolchoi et Aïx.
Artur Ruciñski (Don Giovanni) et Alessio Arduini (Leporello) © C. Leiber - OnP
Arthur Ruciñski et Alessio Arduini forment un duo d'arnacoeur en demi teinte : le premier excelle en tombeur détestable -on ne saurait comprendre pourquoi elles tombent toutes- ; le second, en permanence ballotté entre attirance et dégoût pour son « maître », parvient à donner à Leporello relief et consistance dès son entrée en scène avec un grave sombre. Don Giovanni est un séducteur animal monstrueusement maîtrisé par Arthur Rucinski et ce, dans tout l'éventail difficile de ses travers. Matthew Polenzani campe un Don Ottavio presque paternel, entre force et désaveu.
Le raffinement mozartien est joliment travaillé dans la légèreté et avec l'aisance de Patrick Lange dans la fosse. Le souffle vital de l'oeuvre s'exhale dans une fluidité légère et lumineuse presque irréelle. La production se joue pour la dernière fois à Bastille et elle est à ne pas louper !
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DON GIOVANNI de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Dramma giocoso en deux actes (1787)
Livret de Lorenzo Da Ponte
En langue italienne - Surtitrage en français et anglais
DISTRIBUTION
(Répétition générale)
Selon une mise en scène de Michael Haneke (2006)
Direction musicale Patrick Lange / Marius Stieghorst (6,11, 16 et 18 oct.)
Décors Christoph Kanter
Costumes Annette Beaufaÿs
Lumières André Diot
Chef des choeurs Allessandro Di Stefano
Orchestre et Chœurs de l'Opéra national de Paris
Don Giovanni Artur Ruciñski
Il Commandatore Alexander Tsymbalyuk
Donna Anna Maria Bengtsson
Don Ottavio Matthew Polenzani
Donna Elvira Karine Deshayes
Leporello Alessio Arduini
Masetto Fernando Radó
Zerlina Nadine Sierra / Gaëlle Arquez (29 sept. au 18 oct.)
Première 12 sept. à 19h30
14, 16, 19, 23, 26, 29 sept. et 2, 6, 16 oct. à 19h30
11 et 18 oct. à 14h30
Durée : 3h40 (entracte compris)
(Cover : Don Giovanni le 12 septembre 2015 à l'Opéra Bastille © C. Pele - OnP)