Le rare chant de la Sirène résonne à Compiègne
Grâce doit être rendue au Théâtre impérial de Compiègne d’avoir programmé une œuvre que bien peu de spectateurs pouvaient se targuer de connaître : La Sirène du couple Auber-Scribe. Cet opéra-comique suit les aventures du contrebandier Marco Tampesta, qui se travestit sous différentes identités pour tromper son monde (y compris sa sœur, Zerlina, dont la voix de Sirène génère de nombreux fantasmes dans la région et sert d’appât à ses machinations) et approcher sa victime privilégiée, le naïf Duc de Popoli.
Cette production est signée Justine Heynemann, qui traverse pour la première fois le pont qui relie le théâtre à l’opéra. Une grande partie de l’œuvre étant composée de dialogues parlés, ce choix s’avère judicieux, la direction d’acteurs étant l’un des points forts du spectacle. La scénographie signée Thibaut Fack est à la fois simple et efficace, plaçant l’intrigue sur deux niveaux grâce à un décor ingénieux et (littéralement) multi-facettes. La direction de l’orchestre des Frivolités Parisiennes (également producteur du spectacle) par David Reiland est précise, sculptée par une battue cadencée et nuancée : les ensembles, complexes rythmiquement, sont d’ailleurs parfaitement en place. La texture sonore de l’ensemble, fournie en cuivres, offre une grande homogénéité, bien que l’acoustique généreuse de la salle donne l’impression que les timbales sont jouées depuis le second balcon. Le chef alterne les ambiances vives, les coups secs des archets des cordes produisant un son sautillant, avec des passages plus suaves. Le chœur Les Métaboles est quant à lui bien en place, bénéficiant des timbres homogènes de ses chanteurs, très affûtés théâtralement.
Le rôle-titre est chanté par Jeanne Crousaud (qui vient d’interpréter la Princesse légère à Lille), tout en vocalises aiguisées, d’une voix fine et agile, au vibrato rapide et appuyé. Son manque de volume réduit son champ de nuances possibles : heureusement, le chef sait retenir son orchestre dans ces passages, afin de la mettre malgré tout en valeur. En avance sur la flûte qui la double dans sa seconde intervention, elle utilise comme Orphée son chant pour charmer les forces adverses : les soldats prêts à se saisir de Tampesta finissent ensorcelés et condamnés à danser au rythme des vocalises de la Sirène. C’est de la salle que le bandit leur fait ses adieux.
C’est Xavier Flabat qui chante ce rôle central de contrebandier. La longueur de son texte parlé nécessite que le rôle soit confié à un bon comédien. C’est le cas ici : la composition du personnage est crédible et dynamique. Sa voix est bien couverte, mais doit être forcée dans l’aigu, de manière croissante au fil de la représentation, la fatigue se faisant sentir. Elle est bien projetée, mais pourrait être plus nuancée. Sa diction est impeccable et parvient à faire oublier l’absence de surtitrage (contrairement aux ensembles qui sont difficiles à suivre).
Jean-Noël Teyssier est quant à lui un Scipion, amant de Zerlina, mal à l’aise scéniquement et hésitant sur son texte. Mais il dispose d’une voix bien structurée et maîtrisée sur l’ensemble de la tessiture, qui offre de beaux aigus aussi bien en voix de poitrine qu’en voix mixte. Benjamin Mayenobe offre un jeu théâtral exaltant le comique de son personnage, à la fois hautain, peureux, fourbe et crédule, et semble même y prendre un réel plaisir. Vocalement, il dispose d’un timbre lumineux et d’une voix volumineuse.
Dans le rôle de Mathéa, Dorothée Lorthiais fait preuve d’une grande fraîcheur. Sa voix au vibrato rond et rapide manque de volume, mais son timbre est chaud. Elle accuse toutefois dans sa première intervention un retard important sur l’orchestre. Le Duc de Popoli bénéficie de la voix large et bien timbrée de Jean-Fernand Setti. Enfin, le bandit Pecchione est chanté par Jacques Calatayud, à la voix grave et large. Le public, discret tout au long de la représentation, réserve un accueil très chaleureux aux artistes lors des saluts.