Un « sage » Barbier de Séville à Massy
Composé dans l’urgence par Gioachino Rossini (1792-1868) en un peu moins de trois semaines, Le Barbier de Séville met en scène la noblesse sévillane du XVIIIe siècle. Dernier vestige du genre de l’opera buffa, cette pièce se joue des conventions de l’opéra-comique italien. Dès les premiers instants de l’intrigue, le chœur refuse par exemple de sortir de scène sans avoir été grassement payé. Cette obstination inhabituelle se manifeste jusque dans la musique par une répétition à la limite du ridicule (« Mille grazie, mio Signore », acte I). Mais Rossini ne fait pas que railler les autres, il se moque aussi de sa propre écriture en poussant à l’extrême son fameux « crescendo rossinien », sorte de gonflement musical d’une même cellule rythmique et mélodique, lors de l’air du prêtre Basilio « La Calunnia » (acte I). Mais là encore, Gioachino Rossini l’autodérision n’est pas fortuite : après tout, ce « crescendo rossinien » n’est-il pas la parfaite image musicale de ce qu’est une rumeur ?
Dans cette production, une vue de la capitale andalouse trône en fond de scène. La façade d’une maison bourgeoise andalouse occupe le côté jardin : trait d’originalité, ce Barbier se déroule en effet à Séville ! S’appuyant sur un décor minimaliste et des costumes d’époque, Matteo Peirone et Roberta Mattelli ont placé la farce au centre de leur mise en scène. Les quelques clins d’œil à la culture française (l’immense succès d’Édith Piaf « Non, rien de rien » entonné, Figaro lisant, justement, le journal Figaro) s'ajoutent à des artifices plus courants, tels que le jeu de pieds entre Basilio et Bartolo lors de l’air de « La Calunnia » ou encore l’utilisation de la salle comme d’une extension de la scène. À noter quelques idées restées non exploitées, comme Fiorillo qui orchestre la mise en scène durant son intervention, ainsi que des déplacements qui n’ont pas toujours de réelles justifications dramatiques.
Les parties uniquement orchestrales (comme la « Sinfonia ») révèlent un bon Orchestre de l’Opéra de Massy, doté d’une bonne maîtrise de l’équilibre du son. Mais Le Barbier de Séville reste avant tout une œuvre lyrique et certains tempi trop lents du chef d’orchestre Constantin Rouits ont pour conséquence directe un essoufflement des chanteurs et, plus fâcheux, un contresens stylistique dommageable dans certains ensembles comme celui de la fin du premier acte (« Fredda ed immobile »).
La voix de Francesco Marsiglia (Almaviva) est typique des ténors italiens : un large vibrato, des aigus très clairs, des vocalises sûres. Soit toutes les qualités indispensables pour faire un Almaviva magnifique. Cependant, n’utilisant qu’une petite partie de la palette des nuances (les pianissimi en voix de tête et les forte en pleine voix), son interprétation des sérénades comme celle du début du premier acte (« Ecco Ridente ») manque de contrastes.
Si Francesco Marsiglia livre un Almaviva plutôt contemplatif et quelque peu statique, Francesca Bruni incarne une Rosina volcanique, légèrement capricieuse, mais surtout facétieuse. Sa voix de colorature au timbre chaud est parfaite pour ce rôle. Sa maîtrise technique impressionne dès son fameux air « Una Voce Poco Fa ». Passant aisément de vocalise en vocalise, elle se contente parfois d'une démonstration technique, en oubliant la musicalité.
Si Paolo Ruggiero (Figaro) manque d’agilité vocale (ce qui a pour conséquence concrète un ralentissement de la musique à l’approche de chaque difficulté technique), son jeu d’acteur, sans grandes nouveautés, est la pierre angulaire de cette mise en scène. Campant un Figaro irrévérencieux, Paolo Ruggiero plonge l’auditoire dans le monde du « stand-up » l’espace d’un instant en faisant monter un spectateur sur scène pour lui raser la barbe.
Stefano de Peppo dans le rôle du vieillard grincheux Bartolo est, avec Basilio, l’une des deux bonnes surprises de la soirée. Sa technique sans faille et sa diction impressionnante, ainsi que son jeu d’acteur toujours juste conquièrent le public massicois. Gabriele Sagona (Basilio), fort de son timbre léger et de ses facilités techniques, incarne quant à lui à la perfection un prêtre aigri et cupide. Son air de la Calomnie (acte I) est d’ailleurs très applaudi.
Donner le célébrissime Barbier de Séville relève d’une gageure. Les attentes du public sont grandes et il est quasiment impossible de satisfaire tout le monde. Mais n’est-ce pas là le propre de toute production artistique ?