Mouton, un spectacle lyrique et initiatique
L'opéra pour jeune public constitue souvent une gageure, entre adaptations des classiques du répertoire, marge créative, et risque d'une excessive simplification du propos dramaturgique. En imaginant les tribulations d'un mouton en quête d'identité et d'un prince qui refuse le poids de sa couronne en héritage, Sophie Kassies élabore une synthèse originale et habile entre l'ambition d'aborder des questionnements existentiels et un imaginaire à portée des culottes courtes, un peu dans le sillage de Saint-Exupéry, dont elle reprend deux personnages universellement connus. La rencontre avec le Prince, qui le reconnaîtra comme un ami unique, va bouleverser l'existence de Mouton : l'animal cherchera alors vainement la preuve de sa singularité, un nom, jusque dans les faux-semblants d'une mascarade, avant de retrouver son troupeau, pour lequel il sacrifiera sa différence.
Avec tact, le livret soulève des inquiétudes qui étreignent tous les âges de la vie, et que subissent les plus jeunes sans pouvoir les comprendre véritablement : accepter sa condition, chercher son identité, cultiver son jardin secret sans se mettre à l'écart des autres. Même si les enjeux dépassent sans doute les facultés d'appréhension des plus jeunes, plus sensibles à la magie d'une narration très théâtrale, il s'agit de saluer cette audacieuse propédeutique (préparation) philosophique pour les enfants. Dessiné par Anna Stolze, le plateau de bois clair rotatif, plein de trappes où peuvent se cacher ou réapparaître les personnages, sert de support au parti de grande économie choisi par la mise en scène de Rogier Hardeman, rehaussé par l'intimisme des lumières réglées par Thibault Gaigneux. Dans un esprit très ludique, les trois musiciens de La Chapelle Rhénane confinés côté jardin sur le plateau, Yoann Moulin aux claviers, clavecin et orgue positif, la harpiste Marie Bournisien, et Élodie Peudepiece au violone, investissent masques et costumes pour animer les incarnations secondaires.
Outre le Lorenzo inquiet déclamé efficacement par Sébastien Dutrieux et les interventions aux caractères variés d'Anaïs Yvoz, membre de l'Opéra Studio de l'Opéra National du Rhin, attentive à la viabilité des ensembles, et entendue en deuxième mouton, Madame Muller, Annelise et Ange qui donnera à Mouton son nom sous forme de petite boîte aux allures de pendentif, c'est d'abord l'incarnation de Julien Freymuth dans le rôle-titre qui retiendra l'attention : le contre-ténor à la fragilité équilibrée familiarise les jeunes spectateurs avec une tessiture idiomatique du répertoire baroque. Pour être frêle, son timbre ne connaît aucun accident, et restitue avec sensibilité la naïveté du personnage. Plutôt que la virtuosité de l'ambitus et des notes aiguës, il s'attache d'abord à la couleur du sentiment, ce qui donne sans doute des indications sur la future maturation de sa voix.
Préparée par Benoît Haller, la partie musicale puise dans le corpus de Purcell, Haendel et Monteverdi – et même Vivaldi, pour la tempête sur le finale Presto de l'Estate –, sur lequel elle substitue aux mots originaux, le texte du livret de Sophie Kassies, et se donne ainsi également comme une initiation au baroque. Sans ignorer les altérations induites par la traduction française, due à Mike Tijssens, force est de constater que la greffe fonctionne avec une indéniable fluidité, à défaut d'une prosodie aussi accentuée que les partitions. En somme, s'il nécessite probablement un accompagnement pour les plus petits, ce spectacle pédagogique et poétique démontre que la modestie des moyens n'empêche pas la créativité.