Antonacci et Le Concert de la Loge impressionnent le Musée d'Orsay
Le public parisien est bien aise de rentrer dans le Musée d'Orsay pour ce concert prometteur en un lieu d'exception, mais aussi pour s'abriter du vent qui souffle en tempête dans les rues de Paris. Toutefois, dans l'Auditorium aussi il y a du vent : un beau pupitre de cinq bois qui se marient aux cinq autres instruments à cordes (violon, alto, violoncelle, contrebasse et clavecin) du Concert de la Loge dirigé depuis son violon par Julien Chauvin. Les instruments d'époque offrent de beaux élans allants, dès Don Juan, le premier morceau de Gluck au programme. Les applaudissements saluent cette beauté et redoublent avec l'entrée d'Anna Caterina Antonacci. D'emblée, le chant a l'intensité du drame et la clarté du récit. Sa prononciation du français est modèle, comme l'incarnation dramatique. Sa puissance expressive s'avère indispensable pour incarner les terribles héroïnes de Gluck que sont Iphigénie, Eurydice et Alceste, mais aussi pour justifier un vibrato très large qui met en branle une voix toujours accrochée et très sonore dans l'arène scénique faite de panneaux boisés.
Le Concert de la Loge offre alors une nouvelle occasion d'apprécier ses talents purement instrumentaux (en même temps qu'une pause pour la chanteuse). Le Ballet des ombres heureuses d'Orphée et Eurydice répand une berceuse délicate, toute la chaleur du souffle et la douceur des crins d'archet appréciés tout au long d'un tempo très à l'aise mais nourri. Anna Caterina Antonacci revient alors pour un sommet du répertoire lyrique : "Divinités du Styx" tiré d'Alceste. Les cordes jouent très près de la touche, sur des demi-archets très inclinés. Le contact ainsi réduit entre le crin et les cordes, éloigné en outre des ouïes qui déploient la résonance, a pour effet d'offrir un son direct sur lequel s'appuient fort bien les accents de la soprano italienne. La pompe des bois figure presque les cuivres absents et contribue à porter Antonacci jusqu'aux aigus et aux bravi.
Après l'entracte, Julien Chauvin rejoint en premier violon le quatuor à cordes, dans le creux duquel se love la chanteuse, le tout soutenu par un piano à queue, pour interpréter le Poème de l'amour et de la mer composé par Ernest Chausson. L'accompagnement se déploie sans retenir ses grandes vagues d'harmonieuses couleurs. Les ondes traversent le quatuor, se passent entre les instruments, les vagues écument avant de se synchroniser en grandes marées sur la ligne de flottaison offerte par le piano. Antonacci sait aussi bien se laisser porter par cette mer, qu'affronter les tempêtes déchaînées. La puissance vocale lui offre pour ce faire un appui qui diminue toutefois l'intelligibilité du texte.
Le mélomane reste cependant admiratif devant ces musiciens capables de défendre deux répertoires que beaucoup d'éléments opposent et le public offre aux artistes un tourbillon d'acclamations à travers trois rappels.