Le Médecin Malgré Lui à Rennes, une leçon de français un peu particulière
L’Opéra de Rennes met à l’honneur, un peu avant l’heure, le compositeur Charles Gounod, dont nous célébrerons le bicentenaire de la naissance en 2018, en donnant un de ses premiers ouvrages lyriques, peu souvent joué, écrit un an avant Faust, en 1858.
Les passages chantés de cet opéra-comique, sur un livret signé Jules Barbier et Michel Carré, reprend les dialogues de la pièce de Molière : pour se venger des coups de bâton reçus de son mari Sganarelle, Martine fait croire aux valets de Géronte que ce simple fagotier est un grand médecin. Conduit chez Géronte pour guérir sa fille Lucinde atteinte d’une étrange maladie, Sganarelle se prend vite au jeu.
Homme cultivé, fin littéraire, grand amateur de Rossini, Gounod choisit de transposer l’esprit de Molière en musique. Deux siècles les séparent, deux tempéraments à l’opposé, deux époques bien différentes. D’un côté, l’exacerbé, l’insoumis Molière, de l’autre le sage, le mystique Gounod. D’un côté le XVIIe siècle imaginatif et fantaisiste, de l’autre le XIXe siècle conventionnel et étriqué. On imagine mal Gounod dans le premier registre. Et pourtant, le résultat est surprenant. Le sujet de l’incurie médicale au temps de Molière est traité d’un ton subtilement féroce qui n’appartient qu’à lui. Quant à Gounod, on découvre une musique aux antipodes de Faust, musique qui ramène au quotidien, à des préoccupations plus terrestres, le tout relevé d’un ton humoristique détonnant.
La musique de cette œuvre y est légère, enivrante, gaie, élégante mais cependant éloignée de l’opérette et de son meilleur représentant et contemporain, Offenbach. Les airs sont particulièrement réussis, comme celui de Sganarelle à l'acte I, appelé air des glouglous, ou la sérénade de Léandre au second acte. Gounod se montre particulièrement brillant dans les ensembles comme le sextuor de la consultation du faux médecin Sganarelle.
Le Médecin Malgré Lui fut très peu donné. Qualifié d’opéra-comique et joué au Théâtre lyrique à Paris, l’œuvre reprenant intégralement le texte de la pièce de Molière dans ses dialogues parlés, la Comédie française essaya de faire annuler les représentations de l’opéra. On ne mélange pas les genres et les lieux ! En 1923, Erik Satie arrangea l’opéra en composant des récitatifs pour que l'œuvre soit chantée dans son intégralité mais cette nouvelle version n’eut pas de succès. Cependant, elle ne laissa pas indifférents ses contemporains puisqu’Hector Berlioz dira au sujet de cet opéra « Œuvre excellente de tout point de vue ».
Le décor pensé par Claire Niquet rappelle le théâtre de Foire, ce théâtre itinérant des troupes et baladins à l’époque du XVIIe siècle. Clin d’œil évident à Molière et sa troupe. C’est un décor mobile, facilement adaptable et démontable qui permet une grande mobilité. Notons que ce spectacle est amené à se déplacer sur d’autres scènes de la région Bretagne avec un petit effectif instrumental. Claire Niquet a conçu un grand tableau noir avec des ouvertures (fenêtres, portes, tiroirs) qui sert à faire entrer, sortir, asseoir, même s’allonger (le lit de la malade) les chanteurs et comédiens. Ce grand tableau noir permet aussi à tous de dessiner à la craie, en direct des dessins évoquant lieux (arbres, extérieur ou intérieur de la maison, cabinet médical du faux docteur) accessoires (les bouteilles de Sganarelle, un squelette).
La mise en scène de Vincent Tavernier habitué des pièces de Molière puisqu’il a déjà mis en scène Monsieur de Pourceaugnac, le Médecin volant, Les Amants Magnifiques [chroniqué par nos soins à Massy], est dynamique, sans temps morts, même pendant l’ouverture et les interludes de changement d’actes. La direction d’acteurs est fluide et rythmée et il traite les chanteurs comme de vrais comédiens. Le public retrouve l’esprit de la farce propre aux œuvres de Molière avec parfois une allusion à l’esprit bouffe des opéras du XVIIIe. Mais il n’en oublie pas pour autant que l’opéra a été écrit au XIXe. Le parti de cette mise en scène et de ses costumes est de faire vivre Molière avec Gounod dans une lumière de notre temps. Il nous fait rire avec « des situations et des personnages très proches de l’auteur, investis d’une charge symbolique qui les fait traverser le temps ». Ainsi Sganarelle devient-il un personnage de farce intemporel. « Il y a du Chaplin dans le personnage de Sganarelle » dit Vincent Tavernier en parlant de sa vision du protagoniste.
La réussite de ce spectacle doit aussi beaucoup à une troupe de chanteurs enthousiastes et complices. Marc Scoffoni interprète le rôle de Sganarelle. Bon comédien, très à l’aise sur scène, après un démarrage un peu timide où il a du mal à dépasser l’orchestre, sa voix de baryton bien placée, sa diction parfaite, sa capacité à nuancer sa voix lui permettent de donner l’espièglerie et la truculence nécessaire à ce personnage de comédie. C’est dans l’air des « glouglous » de l’acte I qu’il excelle.
Le rôle de Martine (l’épouse de Sganarelle et conspiratrice du mauvais sort qui attend son mari ivrogne) est interprété par Ahlima Mhamdi. Elle avait déjà interprété ce rôle dans une autre production à Genève. Elle aussi présente une très belle aisance scénique pleine de fantaisie. Sa voix de mezzo soprano est resplendissante, les aigus brillants et les graves veloutés. Le vibrato est perceptible mais tout en finesse. Voilà pour ce couple éclatant de santé, rusé, imaginatif dont la verve et la vitalité viennent chambouler la maison « Géronte ».
Dans cette maison bourgeoise, Géronte est interprété par la basse Jean-Vincent Blot, très à l’aise dans ce rôle de personnage « bouffon ». Il est entouré de sa fille Lucinde qui feint d’être malade. Le rôle est chanté par Héloïse Guinard. Sa voix de soprano est encore un peu limitée en puissance mais sa fraîcheur, son agilité, son aisance, et son jeu théâtral engagé sont parfaits pour le rôle de jeune fille. Son amoureux éconduit Léandre est interprété par le ténor argentin Carlos Natale. Le timbre de sa voix est puissant, lumineux avec de beaux aigus mais une émission parfois un peu nasale. Son style est châtié, peut-être à cause de sa diction plus fragile que les autres chanteurs, le français n’étant pas sa langue natale. C’est cependant le chanteur qui s'entend le mieux, jamais couvert par l’orchestre.
Le rôle de la nourrisse est tenu par Sylvia Kevorkian. Sa voix de soprano n’est pas toujours bien projetée et sa diction est un peu faible dans les mediums comme si la tessiture semblait un peu basse pour elle. De ce fait, elle n’est pas toujours très audible dans les ensembles. Son jeu d’actrice est cependant irréprochable. Les deux irrésistibles valets sont interprétés par le baryton basse Nicolas Rigas et le ténor Olivier Hernandez, tous deux très à l’aise aussi bien vocalement que scéniquement.
La direction de l’Orchestre de Bretagne est assurée par Gildas Pungier. Il exploite au mieux un petit effectif orchestral (une vingtaine de musiciens). Sa direction est précise, alerte, équilibrée entre musiciens et chanteurs. La salle de l’opéra de Rennes est ainsi conquise, notamment par un jeune public venu nombreux.