Un Faust diabolique à l'Opéra de Massy
Opéra en cinq actes, le Faust de Charles Gounod (1818-1893) contient tous les ingrédients d’un drame : manipulation, amour et trahison. Créée au Théâtre Lyrique de Paris le 19 mars 1859, cette œuvre s’inspire du mythe de Faust écrit par Goethe en 1808. Œuvre romantique par excellence, elle renferme de célèbres mélodies françaises comme le chœur de l’acte IV « Gloire immortelle de nos aïeux », l’air de Méphistophélès au deuxième acte « le veau d’or », ou encore l’air de Marguerite au troisième acte « Ah je ris de me voir si belle en ce miroir » (rendu célèbre par la Castafiore dans la BD Tintin).
Passionnée comme Gounod du mythe de Faust, Nadine Duffaut propose une relecture du livret écrit par Michel Carré et Jules Barbier : « [j’ai] essayé de capter les derniers instants de Faust où la réalité et la déformation le plongent dans un univers contrarié. Ni Dieu, ni Diable, simplement le remords qui ronge, qui grignote l’homme "coupable" de sa vie. » Le spectateur accède aux souvenirs hallucinés d’un vieillard torturé errant dans son cabinet. De ce fait, elle détourne l’action de son interprétation habituelle : l’acte de la Kermesse (acte II) supposé être festif, devient une pantomime désarticulée et désincarnée : les personnages du chœur portent des masques, ils se déplacent comme des fantômes, dansent et chantent comme des robots, des acrobates rampent au sol.
Nadine Duffaut ne laisse rien au hasard. Sa mise en scène subtile et poétique est portée par les décors et les costumes. Mais c’est avec les arts visuels (lumières, projections) qu’elle ouvre la porte de l’esprit de Faust aux spectateurs en leur permettant d’entrevoir ses souvenirs teintés de culpabilité. À travers des gestes ou des objets, elle rappelle constamment au spectateur que ce qu’il voit se passe dans la tête de Faust comme lors de la scène du jardin à l’acte III où le lieu est symbolisé par des projections de tulipes aux multiples couleurs sur les murs.
Dès le premier accord de l’Orchestre national d'Île-de-France, Cyril Diederich révèle les deux ingrédients de sa version : simplicité et élégance. Simplicité dans sa direction, élégance dans ses phrasés. Toujours à la recherche d’un équilibre sonore entre les chanteurs et les instrumentistes, il modèle avec brio les couleurs de l’orchestre et met son intelligence musicale au service de l’expression mélodique comme lors de l’air de Valentin à l’acte II (« Avant de quitter ces lieux »). Mais diriger n’est pas chez Cyril Diederich synonyme de contrôle exclusif : il cède volontiers sa place de leader musical aux différents chefs d’attaque afin qu’ils puissent pleinement exprimer leur musicalité (comme lors du duo entre le premier violon et Faust dans son air « Demeure chaste et pure », acte III).
Comme l’orchestre, le chœur (formé des chanteurs des opéras Massy et d’Avignon et préparé par Aurore Marchand et Hélène Blanic) concourt au succès artistique de cette soirée. Tantôt évocateur (« Paresseuse fille », acte I), tantôt triomphant (« Gloire immortelle de nos aïeux »), en passant par effrayant (« Marguerite », scène de l’église, acte IV), le chœur assume pleinement sa place de véritable "personnage" de l’histoire.
C’est sans aucun doute Jérôme Varnier (Méphistophélès) qui constitue la pierre angulaire de cette distribution. Sa voix sombre et envoûtante, son jeu efficace et crédible lui valent des applaudissements nourris (et mérités) à la fin de la représentation. Plutôt rare chez les voix de basse, sa virtuosité est absolument saisissante : avec le tempo qu’il impose dès les premières mesures, le spectateur pourrait croire que le Veau d’or (acte II) est en fait un taureau lancé à pleine vitesse ! Passant d’un Méphistophélès charmeur (comme avec Marthe à l’acte III), à un Méphistophélès menaçant (comme avec Marguerite dans la scène de l’église à l’acte IV), Jérôme Varnier incarne un Diable dans toute sa splendeur : moqueur, manipulateur et terrifiant.
Avec un timbre clair, un beau vibrato, de magnifiques médiums et un jeu sincère, Ludivine Gombert séduit le public massicois. Après les quelques mesures de chauffe à la fin du deuxième acte, la soprano s’empare de la scène en interprétant l'air du roi de Thulé, touchante et emplie d’une émotion communicative. Portée par les belles sonorités de l’orchestre, la soprano charme le public avec une facilité déconcertante. En quelques mesures, sa Marguerite est dépeinte comme une jeune fille raisonnable et résolument simple. Mais c’était sans compter sur Méphistophélès qui va se servir de sa naïveté pour causer sa perte. Abandonnée par Faust, rongée par la culpabilité d’avoir provoqué la mort de son frère Valentin, Marguerite tue son enfant et sombre peu à peu dans la folie.
Jeanne-Marie Lévy incarne d'emblée une Dame Marthe vénale et désespérément en quête d’amour. Afin de rendre son personnage crédible, la mezzo-soprano n’hésite pas à travestir sa voix en chantant délibérément comme une vieille femme. Notamment lorsqu’elle poursuit avec une ardeur ridicule Méphistophélès en le suppliant de faire d’elle son amante. Scène qui ne manque pas de provoquer des rires dans le public.
À peine entré sur scène, Thomas Bettinger (Faust jeune) entonne l'un des airs célèbre de l’opéra (À moi les plaisirs). Si le timbre clair et puissant de sa voix de ténor se prête bien au premier abord au rôle de Faust, son interprétation trop conventionnelle des phrasés et des nuances ne lui permettent pas de véritablement briller dans cette production. Après une version convenue de l’air « Ô mon dernier matin », Antoine Normand interprète un Faust vieux tout à fait convaincant. Errant sur la scène, perdu dans ses souvenirs teintés d’hallucinations épouvantables, le ténor incarne avec justesse un vieil homme torturé et coupable.
Comme souvent dans cet opéra, l’entrée d’un personnage est synonyme d’un numéro célèbre. Celui de Valentin interprété par Régis Mengus, n’échappe pas à cette règle. Dans son air « Avant de quitter ces lieux » (acte II), le frère de Marguerite confie la garde de sa sœur à ses bons amis Siébel et Wagner. Si le jeu d’acteur du baryton convainc (notamment à la fin de l’acte IV où il maudit Marguerite), son phrasé et son vibrato quelque peu scolaires ne charment pas véritablement les oreilles.
D’une voix douce et simple, Samy Camps (ténor) interprète un Siébel touchant. Ses deux airs (« Faites-lui mes aveux », acte III, « Si le bonheur à sourire t’invite », acte IV) sont emplis de délicatesse et d’élégance. Certes, sa voix manque de puissance, mais sa musicalité et son jeu d’acteur lui permettent d’incarner un personnage convaincant.