Karine Deshayes fait reluire La Monnaie par l'écrin des salons
Magnifiques interprétations en ce 6 novembre 2017 à La Monnaie. Réunis par amour du romantisme et du classicisme, la mezzo-soprano Karine Deshayes, le pianiste Tristan Pfaff et le clarinettiste Philippe Berrod livrent une interprétation des Lieder et œuvres des compositeurs autrichiens Spohr, Kreisler, Mozart, Weber, Kreutzer et Schubert. Un programme résolument rythmé, entre parties chantées et instrumentales, d’une rare subtilité. Fidèles aux compositions originales et à leurs arrangements musicaux, les interprètes chambristes livrent une interprétation rafraîchissante de la formation rare qu’est le trio chant-clarinette-piano.
Imaginé comme un concert de musique de chambre plutôt qu’un récital au sens propre, les interprètes sont ici à pied d’égalité, Prima la musica donc. Le choix des œuvres s’est fait avec un fil rouge balançant au gré des émotions, entre Jean qui rie et Jean qui pleure, l’auditoire vacille. Le clavier tempéré et chaud de Tristan Pfaff invite à la valse, à l’éternel recommencement du rythme, à un Lied douloureux succède un autre plus heureux. Entrecoupés par quelques interludes instrumentaux, dont les magnifiques Liebesleid et Schön Rosmarin de Fritz Kreisler, le concertino pour clarinette et piano de Weber, la sublime voix de Karine Deshayes laisse place au génie de Philippe Berrod.
Quel plaisir que de voir un clarinettiste aussi passionné comme soliste ! Encensé par la critique, souvent ovationné, Philippe Berrod est de ceux qui volent le talent avec un naturel et un panache que nul ne saurait lui reprocher. Gloire méritée, d’autant plus qu'il aime le risque, et que son goût pour les sentiers non balisés l’amène à une liberté d’interprétation frisant le génie.
D’une présence ronde et confortante jusqu'aux aigus stridents et mélancoliques, la fluidité des notes parcoure l’échine. Sonorité quasi vocale, dont la rapidité fait tourner la tête, les inspirations jazz sont omniprésentes et Philippe Berrod donne un souffle de jeunesse aux pièces romantiques.
Voix humaine, très attendue et très féminine à l’Opéra de la Monnaie, Karine Deshayes brille ici par une justesse de présence. Une finesse de voix, où le naturel du chant marque une aisance dans le répertoire viennois. Son ample tessiture unit l’opulence et l’élégance des salons à une fraîcheur et une agilité vocale peu comparable. À voix égale avec Philippe Berrod et Tristan Pfaff, la mezzo-soprano participe à un « trialogue » allègre. Chacun trouve une justesse de propos et Karine Deshayes incarne une féminité complexe. La voix est fine, puissante, soufflée, la diction d’une rare précision. Au service total de la musique et des grands compositeurs, avec une discrétion raffinée, les notes sont chantées, bercées parfois soufflées.
L’auditoire aura assisté a certains moments de grâce, notamment avec « Der Hirt auf dem Felsen » de Franz Schubert. Limpide berceuse de va-et-vient au gré des vagues, Karine Deshayes y ondule sur scène, sa voix donne, reprend, entre souffle silencieux et puissance des aigus. Bercée par le clavier de Tristan Pfaff, les notes valsent, en un éternel recommencement. Faut-il que cela s’arrête un jour ?