Messe de Machaut aux Concerts d’automne de Tours : originelle et originale
La Messe de Notre Dame est une pièce fondatrice dans l'histoire musicale : la première messe polyphonique à quatre voix pensée comme une œuvre (avec les six parties de l'Ordinaire religieux : Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Agnus Dei, Ite Missa est / Deo Gratias), par un compositeur unique, Guillaume de Machaut (c. 1300-1377). La nouvelle dimension polyphonique est capitale à une époque durant laquelle c'était le chant grégorien qui accompagnait la messe : un chant monodique, une même mélodie proche de la psalmodie récitée par les moines.
Précisément, les interprètes de ce concert ont voulu imaginer la Messe de Machaut comme elle aurait été interprétée au XIVe siècle en la Cathédrale de Reims : les parties polyphoniques alternant avec le plain-chant grégorien. Comme à l'époque, certes, mais avec en outre l'adjonction d'un quatuor de saxophones, justement dénommé "Quatuor Machaut" par amour pour cette Messe.
Dans l'obscurité, ce sont les saxophones placés aux quatre coins de la fascinante Église Saint-Julien qui ouvrent le concert, se rapprochant de l'autel en tournant autour des accords de Machaut. Les nobles quintes s'éclairent, comme l'autel illuminé de rouge et les instruments transmettent leur souffle aux chanteurs très appliqués sur la prononciation latine "restituée" (prononcée à la française avec des ü au lieu de ou, des z au lieu de s).
Deux quatuors vocaux dialoguent alors (ceux qui composent l'Ensemble Diabolus in Musica). Les quatre chanteurs grégoriens entonnent leur ligne commune en se plaçant tour à tour devant, derrière, de côté ou parmi le quatuor vocal polyphonique en charge de défendre l'Ars Nova, le nouvel art polyphonique de Machaut. Autant le quatuor grégorien est uni par une assise grave, autant le quatuor polyphonique est disparate. Cela ne tient pas tant à la complémentarité des lignes qu'à des postures et des placements vocaux contrastés : un baryton qui dirige avec souplesse, noblesse et un peu pincé, une basse sourde les épaules soulevées, un ténor grinçant les mains jointes et un autre tendu, les bras le long du corps, sa voix menue, hésitante, lançant de petites interjections. De fait, c'est dans les timbres disparates qu'il faut chercher la variété du son produit, les interprètes produisant un volume et un placement constant, sans dessiner de lignes individuelles (Machaut sait pourtant si bien les faire dialoguer et construire d'immenses architectures sonores).
La variété et la richesse du concert surgit alors durant les inventions du quatuor de saxophones, protéiformes (tantôt ancrés par trois saxophones barytons, tantôt allégés avec deux altos) qui déploient de véritables improvisations sonores, entraînant Machaut vers le free jazz, la musique contemporaine, le bruitisme, toujours avec un souffle d'ensemble et une notion des projections dans cette belle acoustique. Cet instrument a été inventé par Adolphe Sax 469 ans après la mort de Machaut, mais, de par sa lutherie et son histoire même, le saxophone offre à cette musique sa double identité : construit pour déployer la subtilité d'un bois avec la puissance d'un cuivre.
Le public reste longtemps fasciné devant le tutti final, entremêlant les 12 interprètes sur un Gracias auquel font écho des applaudissements emplissant l'abbaye bénédictine dont les dernières pierres ont été posées en 1300, alors même que naissait Guillaume de Machaut.