Le Concert des étoiles de Verdi
Cet hommage à Verdi est la deuxième édition du "Concert des étoiles". Le premier, dédié à Luciano Pavarotti, avait été enregistré dans la Salle des étoiles du Sporting-Club de Monte-Carlo et diffusé sur France 3 le 9 septembre 2016.
Pénétrant dans le Théâtre des Champs-Élysées transformé en studio d'enregistrement, le spectateur est d'emblée impressionné par le processus télévisuel, la grosse machinerie en place. Une demi-douzaine de loges est investie par les écrans de contrôle. Une demi-douzaine de caméras fixes est répartie dans la salle et un couple de caméras mobiles forme un hypnotisant ballet : le cameraman harnaché à un bras télescopique, courant littéralement à travers la salle et l'immense perche à contrepoids qui fend les airs, se balançant du parterre jusqu'au second balcon, s'éloignant pour mieux fondre sur l'interprète.
Avant même que la première note ne soit interprétée, l'assistante du réalisateur vient "chauffer" la salle. Plus précisément, elle demande au public une série d'applaudissements plus ou moins sonores, qui sont ainsi enregistrés et pourront être disposés par les monteurs au fil de l'émission.
Le spectacle télévisuel jouera même les prolongations : alors que les artistes recueillent les bravi après le tutti final, l'assistante vient annoncer que certains morceaux du programme seront de nouveaux interprétés, non pas des bis, mais des retake nécessaires pour améliorer des paramètres techniques de captation.
Bien évidemment, la soirée commence par le célébrissime air de ténor "La donna e mobile" de Rigoletto et s'achève en tutti sur le brindisi "Libiamo" de La Traviata. Entre ces deux totems, la soirée enchaîne pèle-mêle les solos, duos, trios, piochant parmi les grands airs de Verdi, éparpillant ses opéras aux quatre vents du programme en un mille-feuille roboratif. Les tubes défilent sans interruption, portés par de grandes voix actuelles, notamment appréciées sur de grandes scènes. Le spectateur est comme un enfant piochant au hasard et continûment dans une boîte de chocolats. Les artistes entrent et sortent les uns à la suite des autres, sans interruptions : de mêmes applaudissements remerciant un artiste et accueillant le suivant (l'émission télévisée intercalera des images d'archive).
Des vidéos sont projetées sur les cadres de scène, images suggérant les lieux et ambiances des opéras interprétés mais aussi la coupole du Théâtre des Champs-Élysées ou le visage de Verdi, le tout pailleté d'or et fendu par la centaine de projecteurs éblouissant la salle et l'assistance.
Enea Scala ouvre la soirée sur les chapeaux de roues par La donna e mobile (Rigoletto) extrêmement couverte et, comme ses comparses, il déploie la fin la plus grandiloquente possible, avec un maximum de son et de longueur de souffle pour impressionner (la télévision et l'enchaînement de tubes incitant au superlatif).
La Traviata, incontournable pour un hommage à Verdi, offrira également (devant une image d'hôtel particulier campagnard) le grand air de soprano "Addio del passato" par une Olga Peretyatko aux graves chauds et aux aigus délicats, portés par une montée dramatique qui aurait toute sa place dans une version scénique. Mais le programme laisse aussi briller le baryton Artur Ruciński "Di Provenza il mar", enchaînant de longues phrases d'un souffle fourni, puissant et velouté. Le ténor Enea Scala montrera ensuite comment un drame peut basculer en un instant, en enchaînant deux airs ouvrant et refermant l'acte II : le bonheur ravi "De’ miei bollenti spiriti" et "O mio rimorso".
Un château médiéval toise les interprètes successifs de Don Carlo (la version italienne, alors même que la version française triomphe à Bastille). Le duo toujours aussi efficace "Dio, Che Nell'alma Infondere Amor" est porté par la puissance de Ludovic Tézier et Gaston Rivero. Le Rodrigo de Tézier, cousin italien du Rodrigue de Don Carlos impressionne tout autant dans cette posture marmoréenne de récital, déployant la même voix époustouflante qu'à Bastille. Tézier qui reviendra seul, émouvoir aux larmes et triompher par la mort de Rodrigo. Ekaterina Gubanova interprète une autre aria suprême de cet opus : "O don fatale", d'une voix très ample et vibrée, à peine couverte par les forte de l'orchestre (elle aussi faisait un crochet entre deux représentations de ce personnage sur le Don Carlos de Bastille).
Devant la projection des pyramides, les jambes très écartées, le ténor Gaston Rivero projette "Celeste Aida" d'une voix de ténor tendue et hachée mais impressionnante aux deux extrémités de la tessiture.
Ambrogio Maestri avait impressionné en Falstaff à la Philharmonie de Paris, il en sera de même durant cette émission avec le Credo de Iago (Otello). Il se présente également en Rigoletto, pour le duo "Si vendetta tremenda" avec Jessica Pratt. La voix du père inquiet est aussi ample que sa mine soucieuse est délicatement choisie. Il transmet ensuite son rôle à un Luca Salsi penché, voûté comme le bouffon et le père rompu qui a perdu sa fille et déploie aux Courtisans des pleurs émouvants, placés et sonores. Jessica Pratt reviendra faire la démonstration de ses talents d'ornementation et de tenues de phrase sur le "Caro nome" de Gilda.
Rigoletto toujours, le remarquable ténor Michael Spyres impose sa voix et ses plaisirs volages sur "Questa o quella". Les premiers aigus et graves sont certes engorgés, mais le rebondi italien est là, filant presque trop vite ce beau moment. Il revient heureusement pour le "Parmi veder le lagrime" du Duc de Mantoue, colorant les larges intervalles par des notes intermédiaires d'une grande justesse. Les bras ouverts, il déploie alors des aigus plus puissants encore et une impressionnante tenue trillée.
Mais il n'y en a pas que pour les tubes et l'italien, Michael Spyres défend ainsi "Je veux encore entendre ta voix" de l'opéra moins connu Jerusalem, dans un français merveilleusement articulé. Ses aigus ont l'intensité du ténor héroïque mais sans la projection (en-dedans) et d'un volume mezzo forte. Outre cet opus, le ténor américain se donne également à Luisa Miller ("Quando le sere al placido") et le public aura aussi l'occasion d'apprécier Macbeth ("Or tutti sorgete" par une puissante Catherine Hunold et "Pieta, rispetto amore" par un Luca Salsi finement placé), ainsi que l'ouverture orchestrale des Vêpres siciliennes.
Sous la baguette du chef d'orchestre people Yvan Cassar, l'Orchestre de chambre de Paris offre une partition télévisuelle, placée et un peu sirupeuse, mais parfois marquetée du grinçant d'un cuivre ou du rond moelleux des contrebasses.
Les ensembles sont aussi à la fête : le trio du Trouvère "Di geloso amor" avec Catherine Hunold, Eanea Scala et Artur Rucinski devant des images de cristaux sous-marins éclairés par la lune, puis celui de Don Carlo : "Ed io, che tremava al sua aspetto" avec Gaston Rivero, Ekaterina Gubanova et Ludovic Tézier.
L'effectif culmine jusqu'aux airs avec chœur (l'impeccable Chœur Vittoria d’Ile-de-France avec l'ensemble Fiat Cantus) qui concluent la soirée : l'éternel "Va pensiero" de Nabucco, "La vergine degli angeli" (La Force du destin), "Di quella Pira" puis le Chœur des forgerons du Trouvère, avant, bien entendu le brindisi "Libiamo" de La Traviata.
Viva Verdi !