Marianne Crebassa fait vibrer l'Opéra Comique
Marianne Crebassa ouvre le récital comme il se doit, saluant les "nobles seigneurs", comme le chante Urbain dans Les Huguenots de Meyerbeer, en nœud papillon blanc, talons scintillants, pantalon noir sous une veste noire cintrée tombant en jupette (elle reviendra après l'entracte dans le même modèle, mais en blanc).
La mezzo-soprano remplit immédiatement la salle Favart d'un médium râpeux appuyé sur une certaine ampleur laryngée, d'un vibrato très rapide surtout, montant allègrement et aisément vers les aigus. Preuve de l'assurance de ses résonateurs buccaux et faciaux, elle reste sonore même les lèvres à peine entrouverte, admirable ventriloque chantant.
L'Orchestre de Chambre de Paris déploie de grands élans sonores qui surgissent puis se terrent pour laisser le chant libre à la mezzo. Sur les pièces symphoniques qui parsèment la soirée, les instruments déploient une éloquente amplitude, comme sur les gammes orientalisantes ouvrant la Phèdre de Massenet, ses contrebasses et timbales au rythme obstiné d'un terrible boléro y portant un envoûtant solo délié de clarinette.
Dès le troisième morceau du récital, Crebassa affronte le terrible air "Amour, viens rendre à mon âme". Le "trépas" que veut braver l'Orphée de Gluck pour rendre à son âme sa plus ardente flamme manque de graves poitrinés mais les vocalises précises de Crebassa la rassérènent et forment une échelle pour monter vers les aigus rayonnant, comme pour descendre vers le Tartare. Le récital étant monté si vite en amplitude dramatique, l'intensité ne peut alors que retomber et elle continuera de varier tout au long du récital. L'auditeur ne cherchera donc plus un fil narratif ou une progression sentimentale, mais il profitera de chaque air comme d'une pastille portée par la voix virevoltante de Crebassa et ponctuée des miniatures enfantines de Bizet pour orchestre (Le Bal, La Toupie). La puissante énergie accumulée par l'Orphée de Gluck retombe abruptement dans la "Romance du sommeil" du Psyché d'Ambroise Thomas. La terrible perte d'Eurydice mène à la blanche tourterelle chantée par Stefano dans Roméo et Juliette (Gounod).
La salle replonge alors dans une poignante déploration, le "Cœur sans amour" d'un Prince Charmant (imaginé par Massenet pour Cendrillon). Le vibrato prestissimo de la chanteuse est éloquent dans le pathos, autant que dans l'emportement, l'espoir ou la joie rayonnante.
Le cœur du concert est consacré à Offenbach, avec deux airs (étonnamment séparés par l'entracte). Après la célèbre Barcarolle des Contes d’Hoffmann menant vers l'air méditatif "Vois sous l’archet frémissant" de Nicklausse -et donc l'interruption du concert- Marianne Crebassa revient à Fantasio, le personnage qu'elle incarnait pour la première production de l'Opéra Comique après ses travaux (représentée au Châtelet). La "Ballade à la lune" explique à elle seule que Crebassa ait décroché le rôle et suffit au charme d'une soirée de récital, avec ses poignants ralentis en fins de phrases, qui suspendent le souffle de l'auditoire et font languir la chanteuse (jusqu'à ce qu'elle s'asseye au bord de la scène et enlève ses chaussures).
Hélas, l'Orchestre de Chambre de Paris semble rapidement fatiguer dans cette seconde partie. Sous la baguette souple et le corps tendu de Victorien Vanoosten, les pièces de Gounod et Chabrier n'ont pas la précision requise des pupitres qui échangent leurs motifs. Le rythme et la justesse se perdent. Les plans sonores se confondent dans l'imitation des rythmes fugués, pourtant bien marquetés des fusées aux flûtes. Le Clair de lune composé par Debussy perd également sa souplesse rythmique, bien qu'il sache se coaliser dans le grand accelerando central.
Le programme s'éclipse sur Marianne Crebassa appelant sa "petite étoile" (Romance de Chabrier), en de légères descentes chromatiques et d'un timbre enfantin, seyant à sa mine mutine autant qu'à la partition. Le concert se referme complètement par la comédie musicale intitulée Mozart, écrite par Reynaldo Hahn et Sacha Guitry. La phalange et la chanteuse l'interprètent avec l'application de ceux qui veulent servir une œuvre méconnue. Sous les chaleureux rappels du public, les interprètes offrent alors deux bis : "L'ombre est douce et mon maître dort" du Shéhérazade de Ravel, d'une inspiration impressionniste s'achevant trop tôt, avant de prendre un doux congé du public par les quelques notes filées de "Toi, le cœur de la rose..." (Ravel - L'enfant et les sortilèges).