Mam’zelle Nitouche à Toulon : pur divertissement
Après le succès des Chevaliers de la Table Ronde de Hervé, qui a voyagé dans de nombreuses maisons françaises et européennes (dont la Fenice de Venise) durant 40 représentations, le Palazzetto Bru Zane poursuit son exploration de l’œuvre de ce compositeur méconnu, pourtant considéré comme le père de l’opérette, avec Mam’zelle Nitouche, qui débutait sa tournée ce vendredi à Toulon (avant Angers Nantes cette saison et de nombreuses autres villes la saison prochaine). La même équipe est réunie autour de Pierre-André Weitz : le metteur en scène, connu comme scénographe d’Olivier Py, donne cette fois à son complice un triple rôle parlé dans sa pièce. Truculent !
Lui-même scénographe de cette nouvelle production, Weitz arpente la scène et les couloirs de l’Opéra de Toulon, déguisé en clown (c’est d’ailleurs lui qui frappe les 12 coups qui ouvrent le spectacle). Son décor, peint à la main par ses soins, est constitué de deux murs latéraux, chacun troué d’une porte, et d’un fond de scène qui évolue au fil des scènes grâce à une tournette. Le spectateur est ainsi plongé successivement dans un couvent, les coulisses du théâtre de Pontarcy, un bistrot de Pigalle, une gare, une caserne militaire. L’ingénieux dispositif, plein de surprises et très esthétique, fait partie des points d’intérêt du spectacle.
Le rôle-titre, Denise de Flavigny qui se fait connaître sous le nom de scène de Mam’zelle Nitouche, est chanté par Lara Neumann, qui interprétait Angélique dans Les Chevaliers. La soprano, toujours aussi à l’aise dans le jeu théâtral, est méconnaissable : transformée physiquement, elle offre également une palette d’émotions bien éloignée du style « Deschiens » qu’elle proposait alors. Ayant gagné en sincérité, elle se montre touchante et attachante, tant dans les parties parlées que dans ses (nombreuses) lignes chantées. Sa voix, légèrement sous-capacitaire, dispose d’un joli timbre, doux et rond, notamment dans les graves, et d’un vibrato bref intense. Elle offre une prononciation soignée du texte, qu’elle prend manifestement plaisir à déclamer. Ses vocalises pourront en revanche encore gagner en fluidité.
À l’inverse, Damien Bigourdan campe un Célestin proche de son Duc Rodomont, reprenant les mêmes mimiques et réutilisant les effets théâtraux qui firent son succès dans le précédent opus. Investissant énormément d’énergie dans son jeu, il peine à se recentrer dans les parties chantées, gardant alors une voix altérée, reprenant l’aigreur qu’il confère à la voix de son personnage dans les parties parlées. Samy Camps est un Vicomte de Champlâtreux candide et nuancé, à la voix légère et aux aigus lumineux.
Les autres interprètes impliqués nourrissent une impressionnante galerie de personnages, changeant de costume en quelques secondes et se travestissant pour devenir successivement une bonne sœur, une danseuse de cabaret aguicheuse, un militaire, un titi parisien, etc. Mention spéciale pour Clémentine Bourgoin (drôle de Sainte Nitouche), à la voix éthérée et suave. Olivier Py est une Supérieure du couvent s’amusant du texte avec le Major d’Eddie Chignara (« Mais c’est mon frère, ma sœur ! / Et bien oui, ma mère, c’est ma sœur… »), puis une Corinne seins nus (reprenant à cette occasion dans le programme le nom de son personnage de « Miss Knife » qu’il a créé voici quelques années), et enfin Loriot, militaire alcoolisé, au large sourire benêt. Le plaisir qu’il prend à interpréter ces personnages est si manifeste qu’il se communique au public qui glousse par exemple de le voir mimer une poule avec un éventail.
Jean-Pierre Haeck dirige l’Orchestre et le Chœur de l’Opéra de Toulon (qui ont bien failli faire défaut, une grève ayant menacé la Première de ce spectacle) avec la vivacité requise par cette partition légère. Le public amusé a trouvé là un moment de divertissement bien mené, sans doute primordial en ces temps de grisaille.