La Damnation, point culminant du Festival Berlioz
Cette édition du Festival Berlioz donné dans sa commune natale de la Côte-Saint-André fait la part belle à l’une des œuvres majeures du compositeur : sa Damnation de Faust. Dans l’écrin de plein air niché au sein de la cours du Château Louis XI, une distribution alléchante attire une salle comble et enthousiaste. Sous la direction du chef John Eliot Gardiner, le ténor montant Michael Spyres interprète le rôle-titre face au Méphisto de Laurent Naouri, tandis qu’Ann Hallenberg chante Marguerite. L’impeccable prononciation de tous les protagonistes fait d’ailleurs rapidement oublier l’absence de surtitrage.
Laurent Naouri, John Eliot Gardiner, Ann Hallenber et Michael Spyres dans la Damnation de Faust (© Festival Berlioz)
Dès les premières notes, le fin travail du chef sur la recherche de couleurs orchestrales s’affirme. La légèreté des alti de l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique, le ruissellement des harpes, les sauts de puce (notamment sur la chanson de Méphisto) des archets aux violons et le son râpeux et profond des contrebasses enchante. Les glissandi et les dissonances sont amplifiés, pointant les moments d’inconfort et de malaise du fameux docteur, ou bien la bestialité des joyeux étudiants. En revanche, si les cuivres sont vaillants, ils manquent de liant. Quant aux cymbales, elles se montrent claires et précises dans la première partie, mais ne parviennent pas à maintenir cette qualité sur la longueur. Si le crescendo introductif est parfaitement dosé, la Marche hongroise souffre d’un manque d’éclat, du fait du tempo modéré choisi par le chef, ainsi que par le spectre restreint des nuances convoquées. La salve d’applaudissements qui accueille ce « tube » reste d’ailleurs assez froide. Le même sentiment émerge du galop infernal, ce qui a là cependant l’intérêt de bien mettre en valeur le chant des solistes.
John Eliot Gardiner dirige la Damnation de Faust (© Festival Berlioz)
Titulaire du rôle-titre, Michael Spyres offre une voix très aérienne et adaptée au texte onirique qui lui est dévolu, souffrant toutefois parfois d'une trop grande couverture pour dégager sa pleine puissance. Son timbre voluptueux se concentre dans les graves et prend un éclat métallique dans le haut médium. Il délivre de beaux aigus, notamment sur les mots « mille feux éclatants » qui décrivent aussi bien la nature s’offrant au regard du personnage que les yeux de l’interprète, qui brillent alors au-dessus d’un sourire émerveillé. Le ténor semble vivre la musique, ses lèvres frémissant au rythme de la partition durant les passages orchestraux. Son duo avec Ann Hallenberg est particulièrement réussi, leurs deux voix s’accordant admirablement dans un équilibre parfait.
Cette dernière dispose d’une voix aiguisée dans l’aigu. Ses graves manquent toutefois de chaleur, surtout en comparaison du hautbois, qui accompagne son grand air, debout, et dont le son délicieux est à la fois caressant et mélancolique. Son phrasé souple et nuancé, porté par une voix généreuse, sied à ses lignes mélodiques, mais elle ne parvient pas à couper le souffle de la salle dans son accelerando que Berlioz écrit saccadé, donnant ainsi à entendre un essoufflement du personnage.
Michael Spyres, Ann Hallenberg et John Eliot Gardiner (© Festival Berlioz)
Laurent Naouri (dont vous pouvez trouver ici l’interview à Ôlyrix) surgit des chœurs tel un diablotin, enchanté de son effet et des facéties qu’il joue à sa proie. Fascinant dans son jeu muet, il parvient également à faire ressortir le comique de son personnage dans la première partie (au risque parfois d’y perdre en musicalité), avant d’en montrer une face de plus en plus sombre et inquiétante après l’entracte. Si la voix ne possède pas l’épaisseur dramatique du démon, il compense par un timbre brillant et noble, qu’il sait assombrir pour accompagner un regard noir et démoniaque. Sa sérénade est emmenée à un rythme effréné : l’occasion de déployer ses incomparables trésors d’articulation. Son cri de victoire final semble sans fin, comme si ses réserves d’air étaient inépuisables.
La difficile tâche d’interpréter les chœurs écrits par Berlioz échoue au Monteverdi Choir de Gardiner et au National Youth Choir of Scotland. Véritable personnage pluriel, ceux-ci parviennent à créer des univers contrastés, tantôt joyeux, tantôt effrayant, mélancolique ou angélique. De récurrents problèmes de précision rythmique viennent toutefois assombrir leur performance (à ce titre, les « tralala » du chœur des villageois ne pardonnent pas). Seul le chœur d’étudiants clôturant la première partie, pourtant le plus complexe de ce point de vue, est parfaitement en place. Sans doute n’est-ce pas un hasard : un effet de mise en espace contraint à ce moment-là choristes à délaisser leur partition. Une fois l’ouvrage fini, le chef garde la baguette levée de longues secondes, prolongeant le plaisir d’un chœur angélique final de toute beauté, et obligeant le public à retenir son souffle et ses applaudissements ravis, qui éclatent dès que l’autorisation lui en est donnée.
Michael Spyres (© Festival Berlioz)
John Eliot Gardiner se rendra par trois fois à l'Opéra de Versailles cette saison. Réservez dès maintenant vos places pour Les Vêpres de la Bienheureuse Vierge Marie de Monteverdi le 8 octobre, pour les Cantates du temps de Pâques de Bach le 20 juin ou encore pour les Cantates du temps de l'Avent le 21 juin.
De leur côté, Michael Spyres viendra à l'Opéra de Paris dans le rôle-titre de La Clémence de Titus tandis que Laurent Naouri chantera le Grand Prêtre dans Samson et Dalila au TCE.