Siberia au Festival Radio France : la chaleur des voix face à la fraicheur du jeu
Le Festival Radio France Occitanie Montpellier dévoilait ce samedi sa pépite : la redécouverte d’une œuvre de Giordano (à qui l’on doit Andrea Chénier, dont l’air La mamma morta a été popularisé par La Callas), Siberia, chantée par la diva Sonya Yoncheva. Malgré cette affiche prestigieuse et des tarifs abordables (12 à 55 euros), de nombreux sièges vides parsèment la salle du Corum qui accueille le concert.
L’œuvre de Giordano ne mérite pas l’oubli dans lequel elle était tombée : elle offre de magnifiques pages musicales, empruntant à la fois au folklore russe, notamment pour les chœurs et les parties instrumentales, et au vérisme lorsque l’intrigue se noue. Ainsi le premier acte rappelle-t-il le style de Francesco Cilea dont l’Adriana Lecouvreur avait été dévoilée un an plus tôt. Les deux actes suivants restent en revanche dans le style épique propre à Giordano. Si l’œuvre n’est pas aujourd’hui au répertoire, c’est sans doute parce que son livret manque d’ampleur dramatique. L’intrigue peut se résumer ainsi : Stephana, amoureuse de Vassili, refuse la main du Prince Alexis. Ces deux derniers tirent l’épée et l’amant blesse le Prince, ce qui lui vaut d’être envoyé dans un camp de prisonniers en Sibérie. Stephana choisit de l’y suivre et meurt en cherchant à s’évader. L’absence totale de jeu théâtral et d’interactions entre les chanteurs, qui restent concentrés sur leur partition, n’atténue en rien cette faiblesse dramatique originelle.
Sonya Yoncheva dans Siberia de Giordano (© Luc Jennepi)
Sonya Yoncheva tient le rôle-titre de sa voix riche et suave qui fait de cette artiste l’une des plus demandées de la planète. Ses graves, très sollicités dans cette partition, sont saisissants de profondeur et d’incandescence. Ses aigus embrassent l’espace imposant de la salle de leur chaleur sucrée. S’appuyant sur une véritable science de la respiration, son souffle impose sa largesse infinie dans ses tenues de notes vibrantes et légères. Si son attitude reste froide tout au long de la représentation, elle met sa technique au service des émotions, modulant son vibrato, allégeant ou alanguissant son phrasé, ouvrant ou resserrant les joues pour varier les résonances. Sans transcender l’auditoire, elle s’arroge une standing ovation méritée à la fin du spectacle.
Sonya Yoncheva dans Siberia de Giordano (© Luc Jennepi)
L’autre grande satisfaction vocale de la soirée vient du Gleby de Gabriele Viviani. Son personnage d’ancien amant de Stephana est ambivalent, à l’image de celui de Pietro Fléville dans Andrea Chénier. Le baryton garde un timbre ouvert et brillant sur l’ensemble de sa tessiture, ainsi que la prosodie soignée d’un pucciniste. Son phrasé dynamique et ciselé met en valeur le texte à la fois poétique, humain et teinté d’humour qui lui est confié. Le ténor Murah Karahan interprète l’amant Vassili, dont la partition est presqu’entièrement sculptée dans le registre aigu. Las, ce dernier se voit obligé de les forcer dès les premières mesures, fatigant ainsi un instrument qui peine à tenir jusqu’aux exclamations finales accueillant la mort de Stephana, et qui rappellent fortement la conclusion de La Bohème
Jean-Gabriel Saint-Martin dans Siberia de Giordano (© Luc Jennepi)
Le Prince est interprété par Alvaro Zambrano dont la voix peine à ressortir des masses orchestrales, mais dont le timbre moelleux charme le public. Catherine Carby chante Nikona, la confidente de Stephana, d’une voix tranchante dans l’aigu, mais qui s’éteint dans le grave. Marin Yonchev, frère de la star du jour, interprète les rôles d’Ivan et d’un Cosaque, d’un phrasé précis et d'une voix bien projetée. Anaïs Constans est une Jeune femme à la voix frémissante et aux médiums soyeux. La basse Riccardo Fassi est à la fois un Capitaine, Walinoff et le Gouverneur du camp. Sa déclamation autoritaire est portée par une voix tonnante. Le baryton Jean-Gabriel Saint-Martin offre une prestation facétieuse et bien menée en Miskinsky.
Murat Karahan et Domingo Hindoyan dans Siberia de Giordano (© Luc Jennepi)
Domingo Hindoyan montre à la tête de l’Orchestre national Montpellier Occitanie la qualité de sa direction, dont la battue marque les temps avec clarté et précision. Les pages impressionnantes de la partition écrite par Giordano sont admirablement transmises. Lorsqu’au troisième acte, il dirige le second orchestre, placé à jardin, pour une danse populaire, il ne peut s’empêcher de se déhancher au rythme de la musique, provoquant le sourire en coin de sa femme, Sonya Yoncheva. Les chœurs rassemblés de l’Opéra de Montpellier et de la Radio Lettone s’approprient les mélodies populaires qui leur sont dévolues, distillant tour à tour la puissance de leurs ensembles (parfois légèrement asynchrones) ou la douceur de leur complainte. Leur chant des prisonniers constitue ainsi l’un des passages les plus saisissants de la soirée. Le public présent aura apprécié cette œuvre rare, espérant qu’elle ne retombe pas aussitôt dans l’oubli.
Gabriele Viviani, Sonya Yoncheva, Murat Karahan, Riccardo Fassi dans Siberia de Giordano (© Luc Jennepi)