Les deux amours des Noces de Figaro au TCE
Quelle chance pour le public parisien d'avoir pu savourer la prestation des solistes et du Chœur du Garsington Opera ! Leurs voix, techniquement exemplaires et la truculence de leur jeu permis par la scénographie de Deborah Cohen, enchantent les spectateurs. Quelques accessoires (un fauteuil, une table, quelques tabourets) placés sur le devant de la scène suffisent à l'intelligibilité de l'intrigue, tant la musique est expressive. Au-delà d'une critique de la société, Les Noces de Figaro présentent une réflexion sur la nature humaine et la musique de Mozart trouve de façon intemporelle un écho dans la sensibilité de chaque spectateur.
Douglas Boyd et l'Orchestre de chambre de Paris (© Pierre Morales)
La direction musicale de Douglas Boyd, menée vivement, est suffisamment précise et claire pour que les chanteurs, placés à l'avant de la scène, puissent s'exprimer et jouer sans craindre de décalage. Suzanne est le personnage le plus présent de l'opéra avec deux airs et un grand nombre d'ensembles. Jennifer France lui prête sa voix légère au timbre bien centré et sa petite stature ne gâte en rien sa grande présence scénique. Elle module son expression en fonction de l'évolution de son caractère : elle est incisive et directe quand elle manigance, elle sait mêler son chant à celui de la comtesse dans le duo de la lettre « sull'aria ». Son phrasé est délicieux et très nuancé dans l'air de l'acte IV « Deh vieni non tardar ». Ses élans vers l'aigu qu'elle atténue dans un pianissimo plein de désir pour celui à qui elle a donné rendez-vous (Figaro croit alors que son chant est destiné au Comte) côtoient une voix malicieuse (elle sait qu'elle s'adresse à son futur mari jaloux).
Joshua Bloom (© DR)
Le rôle-titre, porté par Joshua Bloom, est tantôt un personnage bouffe, tantôt un être révolté et menaçant. Il utilise sa voix de baryton-basse ample et ronde dans de grandes nuances, et ses graves puissants dans la colère menaçante de son premier air : « Se vuol ballare signor contino ». Dans l'espièglerie, sa voix s'allège vers le registre mixte et il investit très habilement la grande tessiture de Figaro. Sa présence, son jeu et le plaisir qu'il dégage à interpréter Figaro en font un personnage très attachant.
Le rôle de la comtesse offre à Kirsten MacKinnon un personnage à la hauteur de ses extraordinaires capacités vocales. Sa voix est d'une beauté exceptionnelle. Comme les autres personnages, la comtesse chante deux airs lui permettant d'approfondir la psychologie du personnage. Le premier: « Porgi amor » dévoile une comtesse mélancolique, déplorant son état d'épouse délaissée. Les débuts de phrases chantés piano se développent subtilement au gré de l'air. Sa voix est constamment vibrée dans toutes les nuances, avec un focus du plus beau métal. La reprise pianissimo de l'air touche au plus profond de l'âme. Dans le deuxième air, « Dove sono », la comtesse se reprend en évoquant l'avenir avec résolution. La voix se déploie ici somptueusement révélant une puissance impressionnante et des sons tout en retenue, le tout dans une grande homogénéité. Une faiblesse cependant se situe dans son jeu qui pourrait gagner en aisance et en expressivité.
Duncan Rock campe tantôt un beau Comte hâbleur, le menton relevé, tantôt un air désemparé en s'ébouriffant les cheveux. Sa voix de baryton très expressive et ronde manque parfois de puissance. Ses aigus sont assurés mais moins aisés quand l'intensité croît comme dans la scène de jalousie du deuxième acte. Il reprend tous ses moyens dans les ensembles et affirme son personnage dans un jeu très convaincant.
Marta Fontanals-Simmons (© DR)
Marta Fontanals-Simmons prête sa voix et sa haute silhouette à un Chérubin ayant grandi trop vite, malhabile, mais joyeux et voulant profiter de la vie. Dans le premier air « Non so piu », elle épouse parfaitement les frémissements de ce jeune cœur par une interprétation très nuancée, passant rapidement d'une voix pleine et brillante à des sons piano jusqu'à faire entendre du souffle. Son chant est plus stable dans le deuxième air « Voi che sapete », faisant entendre que Chérubin a évolué, réussissant à canaliser son énergie dans une romance que la mezzo-soprano reprend dans une nuance pianissimo d'une rare douceur.
Janis Kelly incarne une Marceline contrastée. Sa voix évoque le ridicule du personnage dans le duo avec Suzanne « Via resti servita Madama brillante » usant de quelques effets sonores déclamés mais son chant reste phrasé. Sa voix a toute sa place dans les ensembles et elle campe son personnage sans trop en faire vocalement. Elle résonne totalement quand, à la fin de l'opéra, elle revendique la solidarité féminine. Stephen Richardson prête sa belle voix de basse au personnage de Bartolo. Comme pour Marceline, le jeu est accentué sans que le phrasé n'en pâtisse, la voix demeurant homogène et puissante. Alison Rose (Barberine), Timothy Robinson (Basile), Andrew Tipple (Antonio) et Alun Rhys-Jenkins (Curzio) défendent fort honnêtement les plus petits rôles. Les timbres sont homogènes et s'intègrent parfaitement dans les ensembles. Le septuor final achève l'opéra sur un hymne célébrant la réconciliation universelle. « La folle journée » se termine par une « standing ovation », le public heureux et comblé se dirige vers la sortie, le sourire aux lèvres.