Joyce DiDonato, la Paix retrouvée
Le programme, gravé chez Erato, est composé d’airs baroques et fut conçu comme une réponse au choc des attentats de novembre 2015 à Paris. Un programme avec lequel la mezzo-soprano américaine souhaite nous interroger : « Au cœur du chaos, comment trouvez-vous la paix ? ».
GUERRE. Alors que le public s’installe, Joyce DiDonato est déjà sur scène, immobile, dans une atmosphère post-apocalyptique, enfumée, avec une bande-son qui laisse entendre de lointaines déflagrations. Dès les premières notes du « Scenes of Horror, scenes of woe » extrait du Jephta de Haendel, elle envoûte le public grâce à ses incroyables qualités vocales : puissance, homogénéité, timbre velouté et chaud, le tout servi par une technique qui se laisse totalement oublier. La projection vidéo fait son apparition sur le Da Capo (reprise) de l’Aria, proposant ainsi une sorte d’ornementation visuelle et venant renforcer les affetti (expression musicale des sentiments du personnage). Son air « Prendi quel ferra, o barbaro ! » extrait d’Andromaca de Leonardo Leo est stupéfiant. Elle y incarne avec une rare justesse une Andromaque submergée tour à tour d’émotions diverses : peur de perdre son fils, colère contre Pyrrhus qu’elle a défié de tuer son garçon, amour infini, etc.
La première partie se termine avec « Lascia ch’io pianga », extrait de Rinaldo, un air de génie de Haendel, où la voix, sublimée par une orchestration des plus épurées, semble se déployer presque à nue. Almirena, captive de la magicienne Armide, y implore la liberté. Un moment d’une rare émotion.
PAIX. La seconde partie est conçue comme une ode à la vie, à l’amour et à la nature. Le plus représentatif est l’air d’Almirena « Augelletti, che cantate », également extrait de Rinaldo, où Joyce DiDonato dialogue, tel un oiseau chanteur, avec une musicienne de l’orchestre ayant échangé pour l’occasion son violon contre une flûte sopranino ! Dans l’air de Cléopâtre « Da tempeste il legno infranto » extrait de Giulio Cesare in Egitto (Haendel toujours), la mezzo-soprano montre toute l’étendue de sa technique vocale : virtuosité extrême avec un traitement quasi-instrumental de la voix, vibrato rapide et resserré, trilles scintillants. L’étonnant « Morgen » de Richard Strauss (arrangé pour orchestre baroque !), deuxième et dernier bis de la soirée, sonne comme un prolongement au discours sincère et émouvant que Joyce DiDonato fit, invitant le public à ne pas céder à la morose ambiance de notre temps, à espérer, en nous affirmant que « demain, le soleil brillera encore ».
Joyce DiDonato (© Brooke Shaden - Erato Warner Classics)
L'Ensemble Il Pomo d’Oro, entendu il y a peu avec Patrizia Ciofi à la Philharmonie de Paris, est décidément un ensemble à suivre de très près (comme pour tous, vous pouvez cliquer sur son nom et l'ajouter à vos favoris). Le jeune chef Maxim Emelyanychev dirige du clavecin ses musiciens d’une main de maître, poussant même l’exercice jusqu’à jouer la partie de cornet à bouquin sur la « Sinfonia » extraite de Rappresentatione di anima e di corpo de De’ Cavalieri ! Le programme d’œuvres instrumentales est là aussi choisi avec une grande intelligence, avec notamment la « Ciaconna en sol mineur pour 3 violons et basse » d’Henry Purcell qui fait office de prélude à la fameuse « Lamentation de Didon » du même auteur. Seuls petits bémols du programme : « Tristis est anima mea » de Carlo Gesualdo et « Da pacem, Domine » d’Arvo Pärt, œuvres vocales d’une grande profondeur, et qui semblent difficilement supporter la transposition instrumentale tant elles ont été pensées pour la voix humaine.