L’ange Russe à La Seine Musicale
Le Chœur Accentus, silencieux et concentré, entre d’un pas martial, tout de noir vêtu. Il s’installe en demi cercle. Suit l’impétueux chef, d’un pas décidé. Marc Korovitch se dirige vers ses troupes. D’une voix monodique, grave et profonde, sans prosodie, le « célébrant » célèbre. Les bras du chef de chœur se lèvent et la magie opère.
Cette liturgie de Saint Jean de Chrysostome compose la première partie de ce programme et propose un chœur mixte a cappella. Écrite dans l’année 1878 par Piotr Ilitch Tchaïkovski, dans une période de pleine effervescence avec sa Quatrième Symphonie, il s’exerce à ce style vocal a cappella qui n’est pas à proprement parler sa forme d’écriture de prédilection. Habitué aux contraintes de l’écriture, il explore avec génie cet art nouveau. La musique est grave, solennelle et majestueuse. Les gesticulations extraordinaires du chef font pénétrer l'auditoire dans cette œuvre, avec force et détermination, pour son plus grand bonheur.
Saint Jean Chrysostome
Sur les 40 minutes que dure cette Liturgie, le Chœur Accentus décide de n'extraire que quelques minutes seulement. Mais quelles minutes ! Le chœur crée par Laurence Equilbey il y a plus de vingt ans transmet une émotion intense alliant équilibre et beauté des voix. Petit bémol s’il en est, l'acoustique quoique parfaitement stable, accentue quelques fréquences hautes des voix de femmes, au bord de la saturation.
Deuxième tableau, comme soudé au premier pour garder l’unité, L’Ange scellé de Rodion Chtchedrine, œuvre inspirée du roman de Nikolaï Semenovitch Leskov (roman très populaire dans la Russie du XIXème siècle) se met en place lentement. À l’instar de Tchaïkovski et Rachmaninov, Chtchedrine voulait composer une œuvre liturgique. Créée à l’époque soviétique (1988), il fallait encore camoufler les intentions religieuses. Pour cette raison, il ajoute au chœur de trente-deux chanteurs deux voix d’enfants et un « svirèl » (instrument folklorique russe, pour l’occasion transformé en flûte traversière).
Chœur Accentus (© Alvaro Yanez)
Cette fois les choristes entrent de part et d’autre de la salle, dans le noir, pupitres éclairés. Comme de petits lampions, ils avancent sereinement vers la scène rejoindre leur chef et la flûtiste, statufiés au fond du plateau. L'éclairage tout en subtilité montre la solennité de ce qui va se passer. Mathilde Calderini (flûtiste très talentueuse, avec un son chaud puissant et parfaitement bien centré) assise sur le piédestal du chef, attend son tour. Elle se déplacera tout au long de cet Ange scellé avec une marche presque nuptiale, entonnant de-ci de-là sa mélopée flûtée et travaillée. La mise en scène est plus complexe, la musique aussi, la symbolique également, d’autant que cette mise en scène s’adjoint une danseuse, comme pour sculpter davantage le message sous-jacent de cette œuvre. Clarissa Gehring, danseuse allemande, très ciselée, presque noueuse, se lance dans une chorégraphie tortueuse et torturée. Il faut bien admettre que la musique n’est pas d’une grande gaîté, l’austérité orthodoxe imposant une ascèse parfaitement illustrée dans les contorsions du corps que le chorégraphe Lars Scheibner a souhaitées. Les dessins sont répétitifs, suivant le texte pas-à-pas. Malgré son corps puissant et musclé, Clarissa Gehring dévoile une grande légèreté et finesse d’expression.
Les deux enfants composant ce récit arrivent enfin. Très impressionnés et la voix moins assurée, ils chantent d’un timbre cristallin et surréaliste.
Cette œuvre musicale sans réelle forme, uniquement dévouée à la liturgie orthodoxe et à la gloire de Dieu, finit par un « Notre Père » musical. Les soubresauts du chef entraînent inexorablement l'auditoire et le chœur jusqu'à la fin de cette messe, allant chercher jusqu’au bout de chaque souffle l’expression sacrée.